[BIC] A suiv ou le ras-le-bol d’un artiste révolté

Temps de lecture : 5 minutes

Dernière mise à jour : 8 octobre 2019 à 0h48

Ce mois d’octobre aura bien débuté pour la musique haïtienne. La semaine dernière, comme lui seul en a le secret, BIC Tizon Dife nous a gratifié d’une oeuvre à la fois musicale et littéraire (poétique). Le chanteur de Ti Mari bèl gazèl a décortiqué méticuleusement la quasi-totalité des phénomènes sociaux de notre temps particulièrement le chômage en s’inspirant des manifestations populaires dûes au contexte sociopolitique d’Haïti. L’opus Aswiv en seulement cinq minutes, a couvert presque tous les aspects de notre société. Musique, politique, jeunesse et la corruption, tout y est. Entre tournures imagées et soufflements, l’ex ambassadeur de la francophonie en Haïti n’a épargné personne. Ce plon gaye aura tout ravagé : représentants étatiques, la bourgeoisie et surtout les artistes. Il s’agit d’un discours piquant pour dénoncer les vices de nos leaders, de la presse et de nos artistes. Certains pourraient le considérer comme un pamphlet regorgé de diatribes à l’endroit de nos artistes aux musiques grivoises et de notre jeunesse aux valeurs effritées. Cependant, rien n’est plus touchant qu’une vérité sans filtre.

BIC, un artiste révolté

« […] An tan ke ti kochon, m fè valè m »

BIC est un artiste engagé. S’il n’est pas le seul à évoluer dans ce registre, il est peut-être l’un des rares à avoir un bic aussi précis que parlant. Ce qui lui voudra certes une reconnaissance nationale et internationale en dépit du coup de projecteur dont jouissent les œuvres faciles qu’il appellera « beeuuu » Dans « A suiv », L’artiste a commencé par préciser qu’il est bien l’un des meilleurs dans ce domaine en Haïti malgré le fait qu’il présente ses oeuvres sous une forme plus poétique que musicale. Celui qui se croit plus poète que chanteur a souligné que ce genre de musique qu’il prône n’est pas encouragé par les temps qui courent. Qui oubliera Pòtoprens? Pour lui, les musiques grivoises ont un plus grand aura chez les jeunes à cause de certaines plate-formes de promotion, lesquelles promeuvent les musiques étrangères au détriment des artistes locaux. Cela ne veut pas pour autant dire que les musiques grivoises n’ont pas leur place mais qu’on leur accorde une telle importante et ce au détriment des véritables penseurs montre le mal profond dont souffre Haïti. Encore une fois, il aura raison. Un tweet de Tonymix viendra non seulement exposer une réalité : la musique engagée ne change pas un pays. On sera cependant d’accord que les musiques grivoises le désintègre. BIC soulignera que cela n’affectera pas sa poésie : « BIC son boss! » Conscient qu’il n’a plus rien à prouver, il a dit cesser d’apporter ses réalisations dans les studios parce que les animateurs haïtiens diffusent la musique étrangère sans contrepartie. BIC n’est peut-être pas le seul à évoluer dans ce registre mais sa musique vient frapper un coup à la porte des consciences apparemment endormies. Ce qui conduit à l’exode des jeunes.

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L’exode des jeunes

«  […] Si w rankontre yon jèn isit ak yon diplòm, se swa l gen parenn oubyen l pa gen viza »

Quelle meilleure phrase pour décrire les sorties de nos jeunes par vague pour chez Tonton Sam, le Chili ou encore le Brésil ? Il a souligné le fait que beaucoup d’entre nous, même étant compétents, n’ont pas la possibilité de décrocher un travail dans les institutions publiques ou privées . Les chiffres parlent d’eux même : moins de 5% des cadres de l’administration publique détiennent une licence¹. Y entrer est une véritable « contrefaçon » où tous les coups semblent permis. Certains useront de leurs pistons, d’autres de leurs charmes. Pour une jeune fille, ce sera plus difficile car elle doit, le plus souvent, trouver un compromis avec son patron. Pour cela, il propose une solution :

« […] Nan bwat leta, gen twòp moun ki bezwen resikle »

On dit souvent qu’un problème connu est à moitié résolu. Encore une fois, les choses seront différentes. Elles ne font que mettre en exergue un Etat démissionnaire avec des gens sans scrupules connus pour être autant qu’ignorants que fainéants à sa tête. Peut-on vraiment s’attendre à ce qu’ils prennent les décisions pour le bien de la majorité ? Au contraire, ils font carrément la sourde oreille aux cris d’une nation qui ne demande qu’une meilleure mode de vie. Les penseurs considérés comme des éternels révoltés seront normalement mal vus. Qui se souvient de la façon dont l’ancien président Martelly appelait ironiquement les penseurs avec le champignon appuyé sur le èl «  Entèlektyèèèlll » C’était sa façon de marquer sa soi-disant réussite sans de grandes études. BIC, lui, poursuivra avec un :

« Entèlektyèl, leta pa bezwen w […] »

Il est clair que: la grande proportion d’Haïtiens qualifiés résident à l’étranger mais le peu qui restent en Haïti sont soit bouffés par le système soit ils y font corps. Bon nombre de nos intellectuels sont comme l’opposition. Tizon Dife a senti le besoin de le faire remarquer: certains membres de cette opposition sont sans position, que les problèmes d’en bas (Anba lavil ) viennent d’en haut (Pétion-Ville ). Tout est en mode spaghetti style….

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Aussi, la particularité de cette oeuvre réside surtout dans le fait que BIC n’a pas manqué de taquiner ses congénères qui, à son avis, se rabaissent au même niveau que les marchands/es de sardine tant par leurs musiques que par leurs réactions sur les réseaux sociaux. Selon l’interprète de Mèsi Manman, la musique devrait contribuer au développement socioéconomique du pays et que l’HMI (Haitian Music Industry) est rempli par des musiciens inconscients de leur statut profitant de celui-ci pour accéder à certains postes de décision. Michel Martelly propulsé miraculeusement au second tour dont la famille est indexée dans des scandales de corruption, Gracia Delva ( l’honorable puisqu’il faut l’appeler par son titre) dont les supposées relations avec des bandits notoires ne feront pas honneur, Antonio Cheramy qui semble soutenir le peuple dont les méthodes demeureront peu orthodoxes, L’honorable Jacques Sauveur Jean, sans position, n’ont point fait la fierté des chanteurs. Les chanteurs ne sont pas les seuls.

« An palan de pwomotè,
kisa nap pwomote a ? »

L’apparence satiro-pamphlétaire de cet opus de BIC est justifiée du simple fait que, d’une façon holistique, cette musique a analysé nos maux, nos dérives et nos manquements. C’est peut-être une contumelie faite à certains mais les quatre vérités sont dites à travers ces barres. Il a dit tout haut ce que les autres pensent tout bas. Il a mis en lumière ce qui était enfoui profondément dans les ténèbres de nos murs. D’autres s’amusent à chanter pour leur propre compte mais lui, dénonce, accuse et fait prendre conscience ( ne serait-ce l’espace de cinq minutes) ceux qui contribuent, d’une façon ou d’une autre, à la désagrégation de tout ce qui nous restait en tant que citoyens. Pour sa part, ce qui d’ailleurs est la pensée de la jeunesse haïtienne, BIC préfère mourir en dignité que mourir pour Haïti. Une phrase empreinte d’un pragmatisme peut-être trop extrême pour certains mais qui n’est ni plus ni moins que la pensée de ceux qui veulent encore vivre dignement.

Quoiqu’il en soit, une telle réalisation mérite tout simplement qu’on lui tire notre chapeau !

Référence
[1] https://lenouvelliste.com/article/193347/moins-de-5-de-cadres-de-la-fonction-publique-possedent-une-licence-souligne-josue-pierre-louis

À propos Wood Guerlin Tellus

Wood Guerlin TELLUS, Ergothérapeute clinicien diplomé de la Faculté des Sciences de Réhabilitation de Léogane de l'Université Épiscopale d'Haïti. Fondateur de Ticket Santé. Rédacteur en chef à Le Consultant. " Heureux celui qui lit car le royaume des mots est à lui ".
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