Ce qu’habiter Canaan veut dire

Temps de lecture : 3 minutes

Dernière mise à jour : 13 janvier 2021 à 12h28

À Canaan, une communauté située à l’entrée nord de Port-au-Prince (Haïti), vivent plus de 300 000 sinistrés du séisme du 12 janvier 2010. Cette zone déclarée d’utilité publique par arrêté présidentiel en date du 22 mars 2010, loge à elle seule 3% de la population haïtienne dans des conditions infra-humaines. Dans cet ancien lieu de pèlerinage, les services publics n’existent presque pas. Presque pas d’école primaire voire secondaire, pas de centre de santé, pas d’espace de loisirs etc. Somme toute, la vie à Canaan semble invivable.

Josaphat, un enfant de 10 ans qui habite la localité depuis quelques temps, ne cache pas sa frustration face à l’Etat qu’il dit irresponsable : «  Cela fait plus de 5 ans que nous sommes à Canaan. Aucun gouvernement ne vient nous voir. Je ne peux pas aller à l’école parce que mes tuteurs n’ont pas de quoi payer mes études scolaires. Depuis la mort de mes parents, je ne vis qu’à la merci des autres. » dit-il avec amertume. Josaphat n’est pas le seul à vouloir retourner à l’école. Jeannine qui répondait à nos questions a, elle aussi, cette envie de reprendre ses études qu’elle a dû abandonner après le séisme. « Avant 12 janvier 2010, j’étais en 5ème année fondamentale. J’aimerais bien continuer mais malheureusement… Il y a eu une tentative pour implanter une petite école près de chez nous, ça n’a pas pu marcher vu que nos parents n’ont pas de moyens pour payer les petits frais », se désole-t-elle.

Tout le monde s’inquiète du devenir de cette bidonvilisation. Ce sera, à notre avis, une de trop après Cité-Soleil et autres du genre que connaît la zone métropolitaine. Personne ne sait ce qu’il pourrait advenir dans 5 ou 10 ans si l’Etat central n’agit pas vite et maintenant. Canaan est divisée en 5 blocs, il y en a certains qui sont privés de tout : eau, centre de santé, électricité, établissement scolaire. Qui pis est, la population ne cesse de s’accroître et les conditions de vie se dégénèrent.

Au regard de cette situation, combien de rêves de ces nombreux jeunes en âge d’aller à l’école sont déjà dissipés dans les nuées ? Combien d’adolescents ont déjà vu le train partir sans eux ? Dans cette urbanisation sauvage, ces 300 000 âmes pataugent dans la misère la plus abjecte, une misère qui peut se lire sur les visages de ces oubliés de la société. Sans la moindre assistance de l’Etat, ce site étendu sur plus de 1 000 hectares de terre est l’exemple patent d’un vaste bidonville en gestation.

En juin 2013, l’ancien Premier Ministre Laurent Salvador Lamothe, accompagné de l’ancien Président du Sénat Dieuseul Simon Desras, avait effectué une visite dans la zone et avait promis que l’Etat allait prendre en charge les besoins les plus pressants des 58 000 familles qui habitent ce lieu par le biais du Fonds de Reconstruction d’Haïti(FRH), géré par la Banque Mondiale. 5 ans après, il n’y a que la route de Canaan qui est construite. Cela a peut-être changé le visage de la zone mais c’est pour mieux cacher la misère crasseuse de la population. À Canaan, on peut sursauter dans son sommeil parce que l’électricité vient d’être rétablie après une coupure de près d’une semaine. Certains ont choisi de venir habiter cette localité parce qu’ils n’ont nulle part où aller après le séisme. Ils ont eu tort de  croire qu’une fois installés l’Etat allait les prendre en charge. Même les promesses fallacieuses du président Jovenel Moïse ne les touchent pas. On dirait que cette zone est rayée de la carte d’Haïti.

Il est évident qu’habiter Canaan devient un châtiment pour la population de cette zone qui a eu tort de croire à un lendemain meilleur après le cataclysme du 12 janvier 2010. Habiter cette communauté veut dire accepter, malgré soi, de vivre dans l’indignation. Pour les adolescents et les jeunes, c’est renier leurs rêves les plus chers, c’est aussi accepter de ne pas fréquenter une école ou de parcourir des kilomètres pour se faire éduquer. Enfin, habiter cette localité c’est aussi faire face à des risques de catastrophes naturelles car, selon une évaluation publiée par l’OCHA en février 2011, il est révélé que ce site présente des risques de glissement de terrain en cas de fortes pluies.

 Israel Jeune

À propos Israël JEUNE

Etudiant finissant en Communication sociale et en Philosophie et Sciences politiques à l’Université d’Etat d’Haïti. En tant que rédacteur web, je développe une grande passion pour les Technologies de l’Informations et de la Communication (TIC). Je collabore à des médias étranger tels que : Tech en Afrique et Radio Télé Flash en qualité de correspondant en Haïti. La technologie, la culture générale et le sport sont mes principaux centres d’intérêt.
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