CHRONIQUE | Haïti, au-delà du réel (1) : couleur et inégalités socioéconomiques

Temps de lecture : 2 minutes

Dernière mise à jour : 16 janvier 2019 à 19h11

Comment l’homme est-il devenu Noir ? Comment le Noir est-il devenu Nègre, voire Impur, jusqu’à être Colonisé ? Et en Haiti, comment le champ politique est-il devenu l’ombre de l’économique ? C’est à l’ensemble de ces questions que cette chronique tente de répondre.

Quelques jours après les émeutes des 6 et 7 juillet 2018, je participais à la projection du film I’m not your negro de Raoul Peck à l’initiative de la Société du Samedi Soir, un documentaire qui met en relief la question raciale aux États-Unis. Dans le débat qui fait suite, un assistant a relaté le lien qui pourrait exister entre les émeutes et la question de couleur en Haïti. C’est cette intervention qui m’a inspiré cette chronique.

Les inégalités socioéconomiques qui rongent la société haïtienne ne peuvent pas être appréhendées sans comprendre la relation d’asymétrie entre la bourgeoisie [constituée essentiellement de mulâtres] et la masse (des noirs). Comme je l’ai montré dans un bref article inédit Mur sociétal en Haïti : critique de la pensée d’Achille Mbembe, la société haïtienne est construite sur un ensemble de politiques d’exclusion pour les uns et d’émancipations pour d’autres. Cette situation creuse un fossé entre les deux classes sociales, ou du moins, elle érige un mur. Fondé sur la question de couleur, ce mur sépare « deux réalités sociales, vécues par deux classes sociales d’une même société. D’un côté, la bourgeoisie, […] qui jouit de la protection et des privilèges de l’État […]. De l’autre côté, la masse, marginalisée, qui vit dans des conditions infrahumaines ».

Il n’y a pas de véritable différence entre l’apartheid en Afrique du Sud et cet apartheid [social]. In facto, les masses (les noirs) n’habitent pas les mêmes quartiers que les riches, ils ne reçoivent pas la même éducation, et encore, leurs droits sont lésés.

En fait, la question de couleur qui est au tréfonds de la situation inégalitaire qui caractérise la société haïtienne n’est qu’une continuité du « racisme » qui a réglementé les rapports sociaux dans le foyer colonial. Le racisme, tout en étant avant tout un objet politique (Balibar, 2005), est utilisé pour figer une classe sociale dans une position marginale. Ce phénomène, qui englobe et donne naissance à l’esclavage, la colonisation, voire l’apartheid social, est à l’origine même de la formation sociale haïtienne. Et, il participe dans la construction de nombreuses catégories sociales, comme le noir, le colonisé, entre autres.

Comment l’homme est-il devenu noir ? Comment le noir est-il devenu Nègre, voire impur, jusqu’à être colonisé ? Pour répondre à ces questions, je vais montrer comment la notion de « racisme », tout comme la « race », est construite socialement, mais aussi, comment le nègre est-il devenu une humanité subalterne (Mbembe, 2013). De ce point de vue, je tenterai de présenter l’origine des catégories sociales qui ont émergé dans le foyer colonial de Saint-Domingue, et comment le champ politique est-il devenu l’ombre de l’économique (?).

 

Micky-Love Myrtho Mocombe

_____________________

Bibliographie sélective
Abadie, D. (2014). Ce qui fait la « race nègre ». Note de lecture de Critique de la  raison nègre d’Achille Mbembe. Thinking Africa.
Balibar, E. (2005). « La construction du racisme », Actuel Marx. 2 (n° 38), p. 11-28.
Batamack, E. (2014). « Achille Mbembe. Critique de la raison nègre », Afrique contemporaine. 1 (n° 249), p. 131-133.
Fanon, F. (1952). Peau noire et masques blancs. Paris : Seuil.
Gobineau, A. (1967). Essai sur l’inégalité des races humaines. Paris : Pierre Belfond.
Labelle, M. (1987). Idéologie de couleur et classes sociales. Montréal : Presse Universitaire de Montréal.
Mbembe, A. (2013). Critique de la raison nègre. Paris : La Découverte.
Moïse, C., « Les théoriciens du mouvement révolutionnaire haïtien et la formation sociale haïtienne : étude d’un cas », Nouvelle Optique (5), 1972, p. 119-142.
Saint-Louis, R. A. (1970). La Présociologie haïtienne ou Haïti et sa vocation nationale. Montréal : Leméac.
Saint-Méry, M. (1958). Description topographique, physique, civile, politique et historique de la partie française de l’Isle de Saint-Domingue. Paris : Librairie Larose.
Taguieff, P-A. (dir.). (1993). Face au Racisme. Paris : La Découverte.

_____________________

À SUIVRE…

À propos Micky-Love Myrtho Mocombe

Je suis étudiant en master sociologie à l’Université Paris-Saclay. Je suis blogueur, rédacteur à Balistrad.
x

Check Also

Morts, martyrs, victimes : sens et usages des morts dans les mouvements populaires en Haïti

Le philosophe Edelyn Dorismond, dans un entretien, relève une passion ...

Share via
Copy link