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Droits humains en Haïti, entre théories et réalités

Temps de lecture : 8 minutes

Dernière mise à jour : 26 novembre 2022 à 18h57

Construction historique des droits humains

Les Droits Humains représentent un sujet préoccupant dont on parle presque partout surtout dans les États qui se disent démocratiques ; soit pour les droits de celles et ceux qui ne sont pas respectés ou pour expliquer l’obligation des pouvoirs à garantir des Droits en faveur de certaines catégories sociales.
Ayiti, étant un État dit démocratique, les Droits Humains doivent être abordés en tenant comptes des théories et faits. Mais, juste avant, pour mieux comprendre le concept, il faut remonter à des périodes clés et dans des pays spécifiques car chaque pays a sa propre histoire aux Droits Humains et il faudrait commencer par le refus des droits à des individus et les conditions dans lesquelles ils évoluaient qui traduirait l’absence des Droits Humains.
Le texte se donne comme objectif d’aborder les Droits sociaux (le Droit à l’éducation et le droit à l’alimentation) et la liberté d’expression comme catégories des Droits Humains.

Antiquité

Cette période dans l’histoire des Droits Humains est fortement marquée par la réalité socio-politique qui se dessinait dans la Grèce Antique à Athènes et dans d‘autres pays comme Angleterre. Sa conception était basée sur la citoyenneté. Ainsi ceux et celles, comme les femmes et les esclaves, qui n’étaient pas considérés comme étant des citoyens étaient privés de certains droits. En revanche, en Angleterre, des mesures pratiques ont été prises pour initier et faire respecter les droits humains grâce à la grande charte ou magna carta de 1215 qui limitait le pouvoir royal et instaurait le principe juridique suivant : << aucun homme libre ne sera saisi ni emprisonné ou dépossédé de ses biens, déclaré hors-la-loi, exilé ou exécuté de quelque manière que ce soit. Nous ne le condamnerons pas non plus sans un jugement légal de ses pairs , conforme aux lois du pays >>. Ce principe juridique est connu sous le nom d‘habeas corpus.

La révolution française de 1789 et la déclaration des droits de l‘homme et du citoyen de 1789

La révolution française de 1789 est une grande étape dans l’évolution des Droits Humains dans le monde. Elle fut marquée par la bataille menée contre l’ancien régime, un système politique, social et économique monopolisé par la monarchie absolue et une société foncière légalement divisée en secteurs privilégiés et non privilégiés. Cette révolution a mis fin aux privilèges de la noblesse et du clergé, deux principales classes françaises qui se trouvaient au sommet de la pyramide française qui accaparaient et bénéficiaient de tous les pouvoirs et privilèges au détriment du Tiers-État, la dernière classe qui se trouvait au bas de l’échelle et qui était privée d’un ensemble de droits. La révolution allait empêcher ce mode de fonctionnement en garantissant en ensemble de droits basés sur la propriété, la sûreté et la résistance à l’oppression pour une société plus égalitaire ou toutes les personnes, peu importe leur classe sociale, doivent jouir et bénéficier de tous les droits. Cette déclaration allait servir de préambule à la constitution française. À noter que la déclaration des Droits de l‘homme et du citoyen de 1789 est une inspiration de la déclaration américaine de 1776 de l‘État de Virginie ; la première déclaration de droits de l’homme énonçant son article premier que tous les hommes sont nés également libres et indépendants et qu‘ils ont des droits certains, essentiels et naturels (laquelle déclaration qui elle même est inspirée de la grande charte anglaise qui va servir de légitimation pour les treize colonies américaines pour s’émanciper de la tutelle britannique) traduite et publiée en français.

La Déclaration Universelle des Droits de l’Homme de 1948

En 1948, les pays membres de l’Organisation des Nations Unies (ONU) ont adopté et signé une déclaration nommée Déclaration Universelle des Droits de l’Homme qui porte 30 articles garantissant pour la première fois des droits de l’homme fondamentaux devant bénéficier une protection universelle et des droits inaliénables à la personne humaine comme le droit à la vie.
Cette décision de garantir pour la première fois de façon universelle les droits inaliénables de la personne humaine a été prise par les Nations Unies au lendemain de la seconde guerre mondiale suite aux procès de Nuremberg qui ont défini les concepts de crime de guerre et de crime contre l’humanité. La première moitié du 20e siècle allait être un moment décisif car c‘est dans cette période que l‘affirmation de l’article premier de la déclaration des droits de l‘homme et du citoyen allait être reprise à la déclaration universelle des Droits de l‘homme.

HISTORIQUE DES DROITS HUMAINS EN HAÏTI

Membre signataire de la Déclaration Universelle de Droits de l’Homme de 1948 et étant un régime dit démocratique, les Droits Humains font débat en Ayiti. Comme chaque pays a sa propre histoire avec la question des droits de l’Homme, Ayiti a aussi la sienne.
Il faut remonter dans la fin du 15e siècle soit en 1492 pour comprendre l’histoire des droits humains dans le pays. Avec l’arrivée des européens en Amérique, notamment en Ayiti, les amérindiens ont été forcés de se soumette aux travaux forcés et à l’esclavage. Les conditions inhumaines dans lesquelles ils ont été forcés de travailler et avec leur physique et force incompatibles aux travaux forcés, ils allaient être tous décimés.
Remplacés par des noirs venus de différents tribus d’Afrique en 1501, le système esclavagiste était maintenu sur l’ile. Les noirs étaient considérés comme un bien meuble comme le consacrait le code noir en son article 5. Ils n’avaient pas les mêmes droits que les blancs français. Il fallait attendre la révolution haïtienne de 1803 pour mettre fin audit système pour voir un ensemble de droits se restituer aux noirs comme le droit à la propriété.

Avec l’arrivée au pouvoir de François Duvalier en 1961 et de Jean Claude Duvalier (Baby Doc) en 1971, un régime de nature dictatoriale s’est instauré dans le pays. Le régime a fait plus de 30 000 morts, sous cette dynastie, pour répéter Sauveur Pierre Etienne, les droits humains ont été bafoués et le peuple haïtien s’est vu refuser un ensemble de droits, entre autres, la liberté d’expression et la liberté d’association. Des journalistes ont connu des atrocités, c’est le cas de Liliane Pierre-Paul, d’Anthony Pascal, de Robert Hérard, etc. D’autres comme Gasner Raymond, ont été tués et portés disparus. Des citoyens, sous le regard accusateur et complice des deux pouvoirs ont été tués par la police politique du régime (les tontons macoutes). Les massacres au Jérémie et l’assassinat de 17 prisonniers politiques sont entre autres des exemples parmi tant d’autres.

La bataille au niveau national de janvier 1986 et le contexte international aidant

Des associations politiques et estudiantines comme l’UNEH avec le lancement de plusieurs grèves illimitées comme forme de lutte. Le 6 et 7, pour protester conte le régime, des manifestations ont été menées contre Jean Claude à Gonaïves. Le 29 janvier, quarante mille personnes ont gagné les rues à Cap Haïtien pour manifester pacifiquement contre le régime. Le 30 janvier, les États-Unis ont bloqué les 26 millions de dollars promis à Haïti en raison du non-respect des droits de l’homme.

Entre autres causes nationales et internationales ont permis au pays de se débarrasser du régime et de faire son premier pas vers la transition démocratique avec, sous la consultation populaire, l’adoption de la constitution de 1987 et l’organisation des premières élections libres et démocratiques. Des acquis démocratiques sont constatés comme la liberté d’expression et l’alternance politique au pouvoir à travers des élections, en revanche, la situation des droits humains dans le pays restent telle qu’elle était sous les Duvalier voire empirée. Il faut noter qu’un ensemble de déclarations et de pactes (la Déclaration Universelle des Droits Humains de 1948 et les Pactes relatifs aux droits civils et politiques et ceux relatifs aux droits socio-économiques de 1966) reconnaissant et garantissant les Droits Humains ont été signés et adoptés par Haïti.

FOSSÉS ENTRE THEORIES ET REALITÉS

La matérialisation des déclarations et conventions sur les droits humains signées par Haïti reste un rêve car la population haïtienne voit ses droits fondamentaux (droit à l’alimentation, droit à l’éducation et droit à la santé) bafoués tous les jour. En ce qui a trait au droit à l’alimentation en Haïti par exemple, l’article 11 de la DUDH et du PIDESC garantit le droit à l’alimentation suffisante alors que plus de la moitié de la population souffrent de la sous-alimentation chronique. Selon le Programme Alimentaire Mondial (PAM), le Conseil National de la sécurité alimentaire (CNSA) et le FAO, 1,5 millions haïtiens souffrent d’insécurité alimentaire sévère et 3, 6 millions souffrent d’insécurité alimentaire tout court.

La situation des enfants de moins de 5 ans sont au point mort. Selon PAM, 100 000 enfants de moins de 5 ans souffrent de la malnutrition aigüe alors qu’une convention relative au droit de l’enfant a été signée par Haïti. Le professeur Claude Souffrant, dans son livre « littérature et société » qualifie cette situation d’insécurité alimentaire de culture de la faim et qualifie la société haïtienne d’une société de faim. Bien que le Droit à l’alimentation n’a pas un contenu juridique spécifique dans la législation haïtienne mais il reste un droit fondamental dont son contenu a été clarifié par au sommet mondial de l’alimentation en 1996, répété de façon vague dans certains textes de lois comme l’article 22 de la constitution haïtienne, le décret du 30 septembre 1987, le code rural et le code civil (pension alimentaire). Il y est placé au côté du droit au logement décent, à l’éducation et à la sécurité sociale. Il est défini, par Jean Ziegler, comme étant « le droit à l’alimentation est le droit d’avoir un accès régulier, permanent et libre, soit directement, soit au moyen d’achats monétaires, à une nourriture qualitativement et quantitativement adéquate et suffisante, correspondant aux traditions culturelles du peuple dont est issu le consommateur, et qui assure une vie psychique et physique digne ».

Droit à l’éducation en Haïti

Le Droit à l’éducation est protégé et garanti par la Déclaration Universelle des Droits de l’Homme en son article 26 et par la constitution haïtienne en ses articles 32, 32.1, 32.2, 32.3. Selon les données de la Banque Mondiale (BM), 500 000 enfants n’ont pas accès à l’éducation et 380 000 enfants de 6 à 11 ans ne fréquentent pas l’école. Un pourcentage de 38% des enfants de 7 à 18 ans n’ont jamais été à l’école. 80 % des institutions scolaires sont laissées à la charge du secteur privé tandis que l’accès aux écoles publiques est très difficile.

Ces chiffres montrent à quel point l’écart entre ce qui est garanti dans les textes légaux haïtiens et internationaux et ce qui se fait dans la réalité.
La Presse et la liberté d’expression
Garantie par l’article 19 de la Déclaration Universelle des Droits de l’Homme, la liberté d’expression, encore un autre cliché dans le domaine des Droits Humains en Haïti, reste fragilisé. Rien n’a changé depuis les Duvalier. Des journalistes continuent de tomber. 2 ans après le départ du régime dictatorial, soit en 2000, Jean Dominique a été assassiné suivis de plusieurs autres comme Vladjimir Legagneur, disparu le 14 mars 2018. Un an plus tard, soit le 10 octobre 2019, le corps du Journaliste de Panic FM, Néhémie Joseph, a été découvert sans vie dans son coffre de son véhicule, tué par de plusieurs balles. Diego Charles, tué le 30 juin 2021 et récemment, le journaliste, Romelo Vilsaint a été tué par balles au Commissariat de Delmas 33. Ce sont des cas parmi tant d’autres qui montrent la fragilité du métier journaliste en Haïti et le non-respect des Droits Humains dans le Pays.

Pour garder des souvenirs heureux de la bataille de 1803 contre l’armée française, des mouvements populaires qui ont conduit au départ de Jean Claude Duvalier et d’autres luttes pour la reconnaissance de certains droits dans le pays, les pouvoirs politiques doivent faire en sorte que ce qui se dit en théorie soit manifeste dans la réalité afin que les Droits Humains (surtout les droits sociaux) ne soient pas un rêve mais une réalité. Autrement dit, il faut marier les théories à la réalité.

Saint-Jean HORACE,
Étudiant à la Faculté des Droits et des Sciences Economique (FDSE) de Port-au-Prince.

SOURCES CONSULTÉES
ANDRE, Larané, 1492 à 1804 : D’Hispaniola à Haïti, [En ligne], 1492 à 1804 – D’Hispaniola à Haïti – Herodote.net, septembre 2021, consulté le 28 octobre 2022.
Déclaration Universelle des Droits de l’Homme, p. 62.
LOCHAK, Danièle, Les droits de l’homme, 3e éd., Paris, 2011, la Découverte, p.127
HERARD, Jean Robert, le temps des souvenirs : le mouvement démocratique en Haïti 1971-1986, C3 éditions, Port-au-Prince, 2018, p. 287.
MORTIME, Antonal, le droit à l’éducation, un idéal à atteindre en Haïti, [En ligne], Le droit à l’éducation, un idéal à atteindre en Haïti – Collectif Haïti France (collectif-haiti.fr), 2009, consulté le 4 novembre 2022.
RUMBOLD, Yvens, les Duvalier dans l’histoire d’Haïti : répression dans la presse critique, [En ligne], Les «Duvalier » dans l’histoire d’Haïti : répression de la presse critique – AyiboPost, novembre 2028, consulté le 4 novembre 2022.
SAGESSER, Caroline, les droits de l‘homme, [En ligne], https://www.cairn.info/revue-dossiers-du-crisp-2009-2-page-9.htm, 2009, consulté le 20 novembre 2022.
TIBERE, Jean Junior F., le Droit à l’alimentation en Haïti, [En ligne], Le Nouvelliste | Le droit à l’alimentation en Haïti, 2018, consulté le 4 novembre 2022.

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