Une jeune Haïtienne est saisie par le désespoir après avoir réalisé la mort de son frère sous les décombres de l'école Saint-Gérard. | PHOTO : AFP / AP PHOTO/GERALD HERBERT

Peur de mourir en Haïti ?

Temps de lecture : 2 minutes

Dernière mise à jour : 3 septembre 2020 à 15h37

Le bâtonnier de Port-au-Prince, professeur chevronné dans l’enseignement supérieur en Haïti, le docteur Monferrier Dorval est mort. Non! Il a été lâchement assassiné. Avant lui, un jeune médecin et son bébé et beaucoup d’autres furent emportés par les pluies diluviennes causées par la tempête Laura. Depuis, on voit le pire s’approcher : les cris de désespoir des habitants du Bel-Air, les enfants armés du bas Delmas, Martissant en « stand by ».

On s’indigne! On veut fuir le pays. On ne veut pas s’impliquer pour ne pas mourir. En tout cas, si la mort est certaine, ce, quel que soit l’endroit où l’on se trouve, ne pas vivre en Haïti ou tout simplement ne pas s’engager pourrait la rendre moins tragique. On aurait l’opportunité de mourir de sa « belle mort ».

Après de telles catastrophes, les mêmes commentaires de dégoût reviennent : « Depi w kapab, kite peyi a! » « Peyi a pa merite nèg serye, nèg ki konnen ! » Se taire, ne pas s’engager, partir ou cesser d’étudier rendront-ils la mort moins tragique en Haïti ? Nous ne pourrons pas tous partir. Du moins, il y aura toujours de quoi s’inquiéter d’une famille, d’un·e ami·e en Haïti.

L’heure est à l’indignation! Cependant, il nous faudra nous rendre à l’évidence : s’indigner ne suffit plus. Se taire, cesser d’étudier ou même partir ne feront qu’empirer la situation. Si les choses sont aussi graves, c’est parce qu’à un moment de la durée, la voix de ceux qui ont continué de contester s’est heurtée au silence complice de la majorité. Encore, la situation, aussi grave qu’elle soit, peut s’empirer.

Détrompez-vous, le changement ne viendra pas par miracle. Ceux pour qui nous nous indignons le savaient sûrement. Le changement ne viendra pas non plus du jour au lendemain. Beaucoup de courageux périront encore. Cependant, nous pouvons limiter le carnage : ce silence complice doit se transformer en un bruit sourd de ras-le-bol.

Ceux qui ont réellement peur de mourir essayent au moins de vivre. Nous terrer, nous indigner n’empêchera pas à la mort d’arriver, elle nous empêchera surtout de vivre. Avant nous, pendant la période dictatoriale, des centaines d’éclaireurs ont perdu leurs vies. Aujourd’hui, même si nous avions oublié leurs noms — notre mémoire est malheureusement parfois courte — leur sacrifice nous permet encore de dénoncer. Les bandi legal comme les sbires du régime makout ou les hommes de main de Lavalas ont essayé et essayeront toujours de nous intimider pour mieux garder un pouvoir mal acquis.

En tout cas, toute l’équipe de Balistrad s’indigne devant le départ d’un grand homme et d’innocentes victimes — trop innocentes des fois. Elle profite de l’occasion pour réaffirmer sa détermination à continuer la lutte : celle pour la vie. C’est ce qu’Haïti mérite. C’est ce que nous méritons tous.

À propos Alain Délisca

Je suis Alain Délisca, un Haïtien. Le reste n'est qu'explorations et heurs.
x

Check Also

La règle des trois jours, un autre cran vers l’anéantissement du peuple haïtien

Toutes nos institutions, publiques et privées se conforment progressivement à ...

Share via
Copy link