Des migrants, majoritairement haïtiens montrent à des officiers leurs documents pour régulariser leur situation en République dominicaine, le 16 juin 2015 à Saint Domingue. ©AP Photo/Tatiana Fernandez

Haïti aidée par la République dominicaine pour mieux manger son peuple

Temps de lecture : 6 minutes

Dernière mise à jour : 10 février 2020 à 11h29

Le 17 juin 2005 a pris fin le Plan de Régularisation des étrangers en République dominicaine. Ce plan visant à fournir des documents d’identités à des migrants illégaux n’a pas atteint l’objectif visé. L’Etat dominicain devait agir de concert avec l’état haïtien qui, à travers le Programme d’Identification et Documentation des Immigrés Haïtiens , devait fournir une partie des pièces exigées pour la régularisation. L’irresponsabilité de l’état haïtien et la volonté politique de l’état dominicain de contourner les lois et Conventions sur la migration ont maintenu les migrants dans leur vulnérabilité et la violation constante de leurs droits. Une série de manifestations avaient lieu en République dominicaine par les travailleurs pour obliger ces états à respecter leurs droits fondamentaux.

Retour historique

La mondialisation est un processus d’unification du monde qui a commencé depuis 1492 quand les premiers explorateurs ont atteint le continent américain . Les occidentaux ont amené dans cette quête leurs familles , leurs biens et capitaux – pour ceux qui en avaient – et surtout leur idéologie dominante. Cette idéologie ne se basait pas sur la compréhension et le partage de l’autre mais sur son exploitation afin d’en tirer un maximum de profit. L’une des caractéristiques expliquant l’établissement rapide de la mondialisation est le processus de la migration qui l’accompagne. D’un côté, les capitalistes et leurs capitaux s’en vont vers les colonies, de l’autre par le biais de commerce triangulaire, des millions captifs en terre africaine ont été acheminés dans les colonies plus précisément. Celle de Saint Domingue, selon Michel Soukar ,a été le lieu où l’esclavage en tant que système économique a été le plus appliqué.

En regardant actuellement la République dominicaine et Haïti de par leur évolution, la migration sur l’île reste un sujet capital pour les deux états . Ce phénomène a débuté longtemps avant leur indépendance alors qu’ils étaient respectivement colonie espagnole et française. Le sucre étant que denrée internationale a suscité de nombreux investissements notamment le sucre dominguois. Santo Domingo, orphelin de ces investissements a ajusté la société coloniale afin d’attirer les esclaves fugitifs et leurs connaissances pour une autre application de l’autre côté de l’île . Ces derniers fuyaient par le marronnage le système colonial dominguois où ils étaient traités inhumainement (Ruben Silié Valdez). La donne changera lors de la période de domination impérialiste américaine du bassin caribéen. Ainsi, Haïti fut replacée dans la division internationale de travail . D’un pays producteur, les américains l’ont transformé avec la complicité des élites plongées dans un bovarysme culturel ,en une pourvoyeuse de main d’œuvre et de terre à bon marché. Cette main d’œuvre se trouvera dès 1900 sur les plantations sucrières cubaines et lorsque cette dernière chutera dans les années 30,ces travailleurs de sucre se sont retrouvés dans les centrales sucrières dominicaines ajoutés à ceux qui par l’entremise des contrats étatiques entre la République d’Haïti et la République dominicaine pour le transfert de main d’œuvre sur les plantations de sucre se trouveront en territoire dominicain(Maurice Lemoine et Suzy Castor).

Les données qui seront exploitées dans ce texte sont tirées d’un rapport du Groupe d’Action pour les Réfugiés et les Rapatriés après une observation de 4 jours sur le déroulement du Programme d’Identification et de Documentation des Immigrés Haïtiens en République dominicaine. Ce rapport de 22 pages met en clair l’application du PIDIH parallèlement au Plan National de Régularisation des Etrangers PNRE qui de son côté, s’implique à régulariser les immigrés illégaux sur le territoire dominicain. C’est une initiative de l’Etat dominicain prise toute suite après l’Arrêt 168-13.

Explications économiques et sociales

Actuellement, l’économie dominicaine ne dépend plus du sucre. Celle-ci est diversifiée avec l’agriculture, le tourisme et les constructions ainsi que la sous-traitance . Ce qui lui a valu une place de choix dans la Caraïbes sur la carte touristique mondiale. La Caraïbe selon le Nouvelliste a connu un investissement de 4887 milliards de dollars américains. Un boom économique que la République Dominicaine a profité de 50 % . Ce qui attira vers elle, une migration à la fois régionale et internationale. Les haïtiens comptent pour plus de 87,2% de la population immigrante dans ce pays.

Compte tenu du fait que la majorité de cette population est issue de milieu le plus pauvre d’Haïti, ces derniers subissent un racisme d’état relayé par les couches nationalistes de la société dominicaine. En 2013, ce racisme est à son paroxysme. Quatre générations de dominicains d’origine haïtienne au nombre de 300 000 ont été dénationalisés par le Tribunal Constitutionnel. Face à la réaction de la Communauté Internationale et les Organismes de défenses des droits de l’homme, l’état dominicain a mis sur pied une initiative qui est le Plan National de Régularisation des Etrangers. L’état haïtien a réagi avec le Programme d’Identification et de Documentation des Haïtiens vivant en République dominicaine . Ces plans agissaient sur la base légale prévue par la législation intérieure du pays, la Déclaration Universelle des Droits de l’Homme et les deux Conventions pour les réfugiés contre l’apatridie. Ces deux actions qui devaient rendre à des personnes leur dignité se sont révélées un vaste complot des deux états pour maintenir des binationaux dans l’indignité et la vulnérabilité.

Du côté de l’Etat haïtien

Le nombre de personnes à fournir les pièces d’identité était estimé à plus de 200 000. L’état dominicain n’avait pas fait de recensement pour connaitre le nombre exact de migrants haïtiens sur son territoire . Donc l’Etat haïtien d’entrée de jeu a fixé unilatéralement un barème sans savoir combien de personnes avaient réellement besoin de ce service. Première bourde. Ensuite le nombre de bureaux ouvert était insuffisant. Les services étaient notamment placés à Barahona, Higuey, Santo Domingo, Santiago de los Caballeros et Dajabon. Ils n’étaient pas décentralisés dans les bateys où vivent la majorité des haïtiens en quête d’identification. Deuxième bourde. La peur de déportation non-justifiée de la part des autorités migratoires dominicaines doublée d’un manque de sensibilisation de la part des autorités haïtiennes ont été un frein certain au processus. D’autant plus que les services en plus d’être éloignés étaient lents.

Il a aussi été relaté des cas de corruption et de pots de vins .Le rapport du GARR (p 23) parlait de 500 pesos pour le déroulement du Programme ayant un délai de 45 jours. Le temps pris pour que les données soient saisies en République dominicaine , acheminées, traitées et renvoyées dépassait largement ce délai. En gros, sur 52 000 inscrits 2 000 avaient reçu un passeport, 15 000 une carte d’identification Nationale et 2 000, un acte de naissance. Cependant, il ne faudra pas oublier, dans certains cas le paiement de 1000 pesos pour des documents à la base gratuite.

Du côté dominicain

La République dominicaine sous pression de la Communauté Internationale et les Organismes de défenses des droits de l’homme a élaboré le PNRE, non pas par volonté de respecter les droits de l’homme mais pour trouver une base légale pour effectuer les déportations vers Haïti . Ce plan visait 288 000 personnes. Entre 16 et 18 bureaux sur 36 prévus ont été opérationnels. Les régularisateurs ont réclamé comme documents : un livret bancaire, une fracture d’un supermarché qui paie des taxes, une lettre d’une église qui paie des taxes, une attestation des résidences signée par 7 voisins .Il fallait plus de 15 000 pesos pour l’acquisition de ces documents. Aussi, la somme de ces efforts ne garantissait pas l’obtention de la carte de régularisation. En clair, 97 744 personnes ont été sensibilisées par le PNRE, 37 744 ont ouvert un dossier, 633 ont été inscrits et 17 ont reçu une réponse positive. Cette réponse positive n’était pas toutefois rassurante car lors des déportations, ces cartes ont été confisquées et détruites. Ainsi, après la fin du Plan des vagues de déportations commencèrent jusqu’à 2019 selon le GARR.

En gros, on peut considérer ces initiatives comme un renvoi de balles entre les états qui refusent de reconnaitre la dignité à des personnes. Beaucoup de ressortissants ont été capturés après 6 heures PM. Ce qui est interdit par la loi dominicaine sur le rapatriement .Ces derniers ont été déportés, puis relâchés sur la pression des fusils vers des endroits inhospitaliers de la zone frontalière dans le déni total des droits fondamentaux sous les yeux complices de deux états dits respectueux des droits de l’homme.
La migration internationale est l’une des dynamiques du moment .C’est l’un des piliers de l’économie mondiale . Les grands états dits pays d’immigration contrôlent le flux des migrants selon la demande de leurs capitalistes. Ces réfugiés, climatiques économiques, politiques voient souvent leurs droits humains heurtés au mur de la souveraineté nationale.

Cependant, d’Haïti à la République dominicaine, c’est deux états s’unissant pour éradiquer un peuple. C’est l’état haïtien impuissant face à la reproduction massive de ses pieds calleux décide de faire appel son voisin dominicain pour mieux les éliminer.

À propos Richecarde Celestin

Celestin Richecarde Juriste-Historien HumanRights Négritude Haïti
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