[Haïti-insécurité] Les tentacules d’une insécurité omniprésente

Temps de lecture : 3 minutes

Dernière mise à jour : 12 février 2020 à 21h59

Quatre cents soixante-sept (467)! C’est le nombre de personnes tuées par balle à Port-au-Prince pour l’année 2019 selon un rapport publié par la Commission Justice et Paix (CE-JILAP) le lundi 23 décembre 2019. En effet, l’année 2019 a marqué une recrudescence de l’insécurité dans le pays. Meurtres, kidnappings, braquages, vols à mains armées sont autant d’éléments qui montrent à quel point l’insécurité a envahi la capitale et a bousculé les mœurs et les habitudes des citoyens. Tous les secteurs de la vie nationale en sont touchés. Les témoignages de part et d’autres sont légion et ne laissent planer aucun doute sur les conséquences néfastes de cette situation d’insécurité généralisée.

Le commerce affecté

Au cœur de la zone de Christ-Roi, à la rue de Boulevard, se trouve une maison avoisinant une église et un restaurant. Sur la galerie de cette maison, sa propriétaire, Mme Marie Viviane Sanon, une dame ronde, d’une soixantaine d’années, cent-soixante (160) cm de hauteur, souriante mais timide, est assise paisiblement près de sa petite barque. Dans cette dernière, on peut voir des bonbons et autres sucreries susceptibles d’attirer les enfants de son quartier.

Depuis son limogeage d’une entreprise, madame Sanon tient ce commerce pour répondre à ses besoins et à ceux de son fils. Depuis quelque temps cependant, elle subit les affres de l’insécurité. « L’insécurité c’est comme un virus, plus il se propage, plus on a peur », témoigne-t-elle. « C’est terrible, d’habitude, je fermais boutique à 22 heures mais à cause de cette insécurité féroce, je suis obligée de fermer à 18 heures. Les gens ne viendront pas acheter au-delà de cette heure », explique-t-elle.

Le secteur éducatif inquiet

Le commerce et l’économie ne sont pas les seuls secteurs affectés, le secteur éducatif connait aussi son lot de désagréments liés à cette situation. « Je suis en retard tous les jours désormais parce que je ne peux pas sortir de chez moi trop tôt de peur de croiser les rançonneurs qui sévissent à l’aube », raconte un écolier. Il n’est un secret pour personne que depuis quelque temps, certains gangs font leur beurre en détournant ou en braquant les voitures de transport en commun. De ce fait, les gens sortent beaucoup plus tard et rentrent plus tôt, ce qui raccourcit les journées de travail et de cours de plusieurs heures. Des faits regrettables si l’on en compte déjà les nombreuses heures perdues lors de la fameuse période « lock ».

Les directeurs d’école sont eux aussi anxieux par rapport à la situation. « Malheureusement, nous ne pouvons garantir la sécurité des élèves dans les rues et cela nous préoccupe », dit Monsieur Guy Etienne, directeur du Collège Catts Pressoir. Même son de cloche pour Marie Rosaire, directrice d’une école en plaine. « On redouble de vigilance par rapport à ceux qui viennent chercher les enfants redoutant les cas de kidnapping des élèves », explique-t-elle.

Adieu loisir

« Sortir réclame une disposition mentale particulière et avec la psychose de peur installée chez les habitants à cause de l’insécurité, il est difficile de trouver une proposition suffisamment convaincante pour les pousser à sortir de chez eux ». Ces propos tenus par Berwin Sydney, co-gérant de la firme Concept Event Master, montre bien la difficulté pour les promoteurs et organisateurs de continuer à mettre sur pied des activités culturelles, pris au piège de l’insécurité. Une préoccupation qui trouve écho chez les fêtards d’autrefois qui préfèrent rester prudents. « J’aime beaucoup les concerts en général mais ces derniers temps, aucune affiche ne réussirait à me faire rentrer chez moi au-delà de 8 heures du soir. L’atmosphère n’est pas propice à ce genre de folies », déclare Calonia, une jeune fille de 26 ans.

Comment demander à des gens de prendre part à des activités se terminant à des heures indues alors que des gens sont pris entre les griffes de l’insécurité ? C’est la question que se posent autant les promoteurs que les artistes qui en subissent les frais et connaissent des périodes de vache maigre. « Quand la frayeur s’installe, le loisir disparait », affirme Taliana Lindor, chanteuse, pour expliquer le peu de spectacles proposés ces temps-ci. Une situation qui affecte, tant sur le plan professionnel qu’économique, les gens qui ne vivent que de leur art.

Quid des autorités ?

« Un nouveau dispositif appelé rideau de fer est mis en place en vue de lutter efficacement contre l’insécurité principalement le kidnapping », a annoncé le Directeur Général a.i de la Police nationale d’Haïti, Monsieur Normil Rameau en conférence de presse au début du mois de février. En dépit de ces nouvelles mesures, les cas de kidnapping continuent d’augmenter, les cas de viols pullulent. Le vase est rempli et déborde, aux déclarations de chef ne se joignent toujours pas les actions.

Alors que les autorités peinent à réagir, la population se terre chez elle comme un animal traqué. La vie nocturne n’existe presque plus. Les gens sont aux abois, certains prient, d’autres fuient, alors que les grands commis font semblant de vivre encore dans le déni.

Vanessa Dalzon avec le support d’Amos Exumé

À propos Vanessa Dalzon

Vanessa Dalzon est Rédactrice en chef à Balistrad, diplômée en Droit à l'Université Quisqueya (UniQ). Elle est l'auteure du roman « Opération-Rupture », chronique publiée dans Balistrad pendant 22 semaines. Vanessa Dalzon partage son temps en dehors du bureau entre l’écriture, la lecture, le chant et les séries télé.
x

Check Also

50 femmes haïtiennes « inspirantes » honorées

À l’initiative du Réseau des femmes haïtiennes modèles et inspirantes ...