© Photo : AFP, Hector RETAMAL

Haïti : La conjoncture pose problème à la rentrée scolaire 2019-2020

Temps de lecture : 4 minutes

Dernière mise à jour : 14 octobre 2019 à 22h01

Plus d’un mois de peyi lock a retardé la réouverture des classes. Cependant, avant l’inflation, la hausse des prix des frais scolaires, les écoles publiques en mauvais état et l’absence des services publics éducatifs dans les coins les plus reculés des villes de province ajoutés à la mauvaise gouvernance et la corruption ont toujours constitué des barrières qui empêchent l’éducation de masse à tous les niveaux pour la jeunesse haïtienne. La rentrée scolaire a toujours été difficile pour la majorité des parents haïtiens .Malgré la précarité économique, ils ont montré leur confiance en l’éducation . La raison est simple : l’éducation est la clé du succès. Aussi, leurs enfants doivent avoir mieux que ce qu’ils ont reçu pour avoir un meilleur avenir. C’est la raison pour laquelle la majorité des familles dépenseront le plus grand de leurs avoirs dans l’instruction. Il s’agit là d’initiative privée. L’Etat quant à lui, sait aussi se jeter dans la partie en dépit de ses faiblesses par des subventions en matière de fournitures classiques revues à la baisse.

Rentrée scolaire hypothéquée

L’administration Jovenel/Lapin connait une des pires crises de gouvernance publique, surtout en matière éducative. La corruption institutionnalisée au sein de l’Etat et l’absence de politique publique renvoient les parents vers des institutions privées. En dépit du voeu constitutionnel et des dispositions légales sur les frais scolaires, les écoles privées n’ont aucun problème à majorer leurs prix .

Le parent qui ne voudra pas voir son enfant rater la rentrée devra, certaines fois, verser des frais pour la réservation de place dès le mois d’août. Ensuite, il devra acheter la toile de l’uniforme à l’école même. Certains établissements fournissent des maillots et chaussettes en américain. Les livres doivent être originaux et achetés à l’école . A ce stade, l’école n’est plus une obligation mais un moyen de démarcation. Dans un pays où il n’y a pas vraiment d’investissement privé, où l’Etat qui subit la corruption est le principal employeur ,les parents qui voient leur paye retardée de plusieurs mois sont aux abois: « Leta dwem de mwa,e janm wè bagay yo ye la sanble mwa septanm nan, nap peyel ! Peyi sa pa gen moun kap dirijel ! » Ce sont là les mots d’un père de famille de trois filles qui sont dans une école congréganiste de la capitale. Il continuera pour dire : «  Mè sa yo pap pran priye nan men w. »

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Les enseignants des écoles publiques de la capitale ont aussi leur lot de peines .Après plusieurs manifestations pour avoir salaires et arriérés ,ils se plaignent de l’irresponsabilité de l’Etat qui négligent l’éducation publique pour investir les fonds de subvention dans les écoles privées. « Eske lise ap janm gen bon pwofesè ? » se questionne Jacques ,enseignant en mathématiques au lycée Daniel Fignole .Il ajoute en plus que le bâtiment devant loger les filles du lycée Marie Jeanne n’est pas encore achevé. Les mauvaises rémunérations obligent les enseignants à prendre des initiatives privées, dans de mauvaises conditions , sans reconnaissance légale et de fonctionnement, sous la complicité des inspecteurs . Même avant le peyi lock, la rentrée était logiquement impossible. Cependant, pas mal de scandales ont enflammé la toile : des sénateurs à qui le pouvoir en place a négocié la ratification du premier ministre nommé Fritz William Michel au prix de 100000 dollars américains chacun ,alors que cet argent pouvait être injecté dans la rentrée particulièrement dans les subventions revues à la baisse, le service de sécurité du président coûtant la peau du cul, les sommes astronomiques décaissées soit par le secteur privé ou public pour mater ou mobiliser la rue, ect.

Problème récurrent : déformation de l’Haïtien

La situation des écoles des villes de province reste catastrophique malgré leur résultat assez satisfaisant au baccalauréat cette année comparée au pourcentage de la réussite des écoles capitale. En grosso modo, il est possible de constater une éducation à triple vitesse, par les écoles américaines et francophones dont les bases sont faites pour les enfants des diplomates et ressortissants étrangers ,mais que des éléments de la classe moyenne investissent aux prix des moyens qui les dépassent . Ces derniers ne remarquent pas qu’ils participent à la déconstruction accélérée de l’Haïtien déjà enclenchée par l’église catholique avec la signature du Concordat de Damien. On retrouvera ensuite les écoles privées congréganistes puis les écoles publiques. Tout cela s’explique dans un souci de différence et de domination sur les autres. On retrouvera aussi un nouveau secondaire sans le matériel adéquat et une éducation publique négligée par l’Etat fuyant ses responsabilités .Au bout du compte, les parents seront tout simplement à la merci des écoles privées, tout cela pour un morceau d’avenir incertain.

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Haïti a signé et ratifié des Conventions et de Traités en matière de protection des droits de l’enfant. Cependant, de l’esclavage en passant par la domestication et l’exploitation ,l’enfant qui rêve d’être mécanicien ,ingénieur(e), médecin, infirmier(e) ne peut que rêver .L’injustice sociale par la libéralisation de l’éducation dans des structures basiques au niveau étatique nationale tue dans l’œuf leur espoir d’une vie meilleure .Les organisations internationales en la matière qui reçoivent des fonds visant à soutenir leur dignité ,les détournent à leur profit .

Dommage ! Les enfants des rues continueront à essuyer les pare-brises des voitures de l’UNICEF pour recevoir en retour le salaire de leur humanité :10 gourdes. Sauf que cette fois, il n’y aura pas que les enfants de rue à rater l’année scolaire : il sera peut-être question de tout un pays…

Richecarde Célestin

À propos Richecarde Celestin

Celestin Richecarde Juriste-Historien HumanRights Négritude Haïti
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