Chronique | Les antennes-relais, nocives pour la santé ?

Temps de lecture : 5 minutes

Dernière mise à jour : 8 août 2019 à 14h07

La vitesse, le progrès, le bonheur : ce sont ceux qu’a promis la modernité. Aujourd’hui, nous marchons à reculons, dans un monde désenchanté. Le bonheur reste utopique. Les apôtres de la modernité continuent encore leur course. Un sprint fou que la sociologie historique qualifie de « postmodernité ». Ce nouveau cycle promet aussi du gros : intégrer les nouvelles technologies dans le corps humain, intelligence artificielle, nanotechnologie, génie génétique, etc. Toutefois, comme l’a remarqué Henri Poincaré, les inventions qui incarnent ces périodes font de l’Homme le fossoyeur de sa propre tombe. Dans cette chronique, il sera question d’analyser ces outils de la (post)modernité, susceptibles de représenter des risques pour la population haïtienne.

Vous vous êtes déjà posé la question sur les effets des antennes-relais sur votre santé ? Elles sont combien à surplomber vos maisons ? Chez moi, elles sont une demi-douzaine. L’une a été installée dans mon voisinage il y a cinq ans. Depuis, non seulement je suis insomniaque, elle ne me laisse pas une semaine sans penser au cancer. Je dois vous avouer que je ne vis pas, je suis cancérophobe. Les antennes-relais et les téléphones, vont-elles nous tuer tous ?

Cohabiter avec le risque

Les téléphones portables envahissent le monde, depuis environ trois décennies. Ils modifient les liens sociaux, influencent notre relation au temps et à l’espace… Ils deviennent, aujourd’hui, un phénomène social. Et, depuis leur apparition, ils font l’objet d’une panoplie de recherches scientifiques. Certaines ne cessent de questionner l’impact des ondes électromagnétiques sur la santé individus. En ce sens, ces études soulèvent le débat de la nocivité des antennes-relais.

Depuis le début des années 2000, des riverains, des ONG, des lanceurs d’alerte ne cessent de contester l’installation des antennes-relais dans certains endroits. En 2011, le dépistage de trois cas de cancer dans une école en France, et d’autres cas de maladies graves (Alzheimer, AVC, etc.) dans le voisinage, a stimulé une organisation à réclamer le démontage de 25 antennes-relais qui surplombait l’établissement. Depuis, des pétitions, procès et marches pacifiques émanent des revendications. Malgré tout, le secteur de la téléphonie mobile poursuit sa course. Une puissance folle vient d’être inaugurée : le 5G. Les risques deviennent plus considérables, tout comme les inquiétudes. Si la 5G ne conquiert pas encore le monde, les antennes-relais, si.

En Haïti, elles sont partout. Elles sont plusieurs milliers, dans la cour de certaines maisons du « pays en dehors », sur des toits en milieu urbain. Nombreux ignorent les risques (voire dangers) auxquels encourent les riverains de ces dispositifs. Au contraire, dans les endroits reculés, elles sont des joyaux : elles relient les paysans avec le reste du monde. Elles les épargnent, ainsi, de plusieurs kilomètres de marche, à la ruée vers le « siyal ».

Ondes électromagnétiques et santé : qu’en dit la science ?

Pour une grande partie des locataires, l’installation de ces antennes est un atout. Ils empochent des milliers de dollars par an, et comme bonus, de l’électricité 24/24 gratuitement. Pourtant, d’autres individus y voient un danger de santé publique, une idée sur laquelle les scientifiques sont loin d’être unanimes.

Toutefois, les riverains listent un ensemble de symptômes qui laissent soupçonner d’un certain effet de ces ondes : difficulté à trouver le sommeil, anxiété, fatigue, trouble de concentration, de la vision, etc. Alertée par cet enjeu, l’OMS a confié que les données scientifiques ne confirment pas de lien entre cette symptomatologie et les ondes électromagnétiques.

En fait, plusieurs études ont été réalisées sur cette thématique. La vérité reste encore grise, du moins, incolore. Déjà en 1996, des recherches lancées par l’OMS, dans le cadre du Projet international pour l’étude des champs électromagnétiques, ont écarté toute piste laissant croire que les antennes-relais sont nocives pour la santé. Cette thèse a reçu le soutient d’une autre étude, financée par Mobile Telecommunication and Health Research, menée en Angleterre sur des enfants de 0 à 4 ans. Les résultats ont montré l’absence de risque, disons de risque majeur. Plus tard, soit en 2011, face aux incertitudes relatées par une série de recherches, l’OMS est retournée sur ses conclusion, en décidant de classer les ondes radios comme des agents « possiblement cancérogène pour l’Homme ». Cette décision signifie, selon le physicien Sébastien Point, que l’organisation n’a pas de preuve que c’est cancérogène, mais elle ne peut affirmer avec certitude que ça ne l’est pas.

En revanche, l’Université de Picardie Jules-Verne montre, dans une étude publiée en 2013, que le sommeil des jeunes rats est perturbé par le rayonnement électromagnétique. Plus loin, dans une vaste étude réalisée sur une période de 10 ans [et qui a coûté la bagatelle de 30 millions de dollars], le Programme national de toxicologie U.S. (NTP) a établi le lien entre les radiations appartenant au spectre des radiofréquences et les tumeurs chez les rats mâles. Dans cette étude, qualifiée d’inattaquable par Huffingtonpost, l’effet de ces ondes sur beaucoup de rats et de souris ont été analysé sur une durée de deux ans (espérance de vie de ces animaux en labo). Au final, des cas de tumeurs malignes au niveau du cœur et du cerveau ont été observés chez près de 3.33% des rats et souris, avec un taux plus élevé chez les mâles.

Neutralité axiologique et les études sur les ondes électromagnétiques

Malgré la cohérence de cette étude, il a été remis en question par certains scientifiques, et sévèrement critiqué. L’une de ses talons d’Achille, l’effet de dose n’a pas été prouvé, c’est-à-dire, on n’a pas remarqué une proportionnalité entre l’augmentation des ondes et les cas de tumeurs. En plus, si c’est prouvé chez les rongeurs, les études sur les humains sont à désirer.

Ces résultats contradictoires [fort souvent orientés] relèvent (ou peuvent relever) de la position des chercheurs, de leurs valeurs. Dans une certaine mesure, les recherches menées sur cet objet invitent à évoquer la neutralité axiologique, ou encore de l’engagement du chercheur.

Néanmoins, Marjorie Lelubre (2013) se demande comment surmonter le paradoxe du financement des recherches par les pouvoirs publics(et les entreprises privées) et le positionnement du chercheur. Alors que la science se veut un contre-pouvoir (Marchat, 2001) et indépendante. Lelubre pense que l’engagement est inhérent au travail de chercheur. Pourtant, le chercheur devrait être neutre pour pouvoir réellement faire la lumière sur un tel objet. Du moins, c’est ce que prétendent certains pour réellement accepter que les ondes électromagnétiques sont nocives pour la santé…

En réalité, la neutralité n’est qu’une utopie. Même celle proposée par Max Weber, dans son classique Le savant et le politique : une neutralité axiologique – c’est-à-dire, une neutralité par rapport aux valeurs. Nos convictions morales, écrit-il, nos croyances, nos valeurs ou aucun autre facteur culturel ne doivent pas varier les faits. C’est-à-dire, « le chercheur ne peut pas fausser les données, modifier ses résultats pour accommoder ses propres idéaux normatifs » a compris Marc-Kevin Daoust.

Pourtant, c’est à un cas pareil que laissent soupçonner les recherches sur les ondes électromagnétiques. La science qui devrait être universelle [surtout lorsqu’il s’agit de la physique qui est la plus dure de toutes] est bizarrement différente face à cet objet d’étude. Serions-nous au cœur d’un complot entre les scientifiques et les compagnies de téléphonie mobile ? Devrions-nous -nous faire confiance à la science ?

Rien n’est impossible ! D’emblée, Weber lui-même n’a pas été neutre axiologiquement dans ses travaux et même dans l’ouvrage qu’il l’a énoncée. Gérard Mauger (1995), au sujet du métier de sociologue, a été clair et radical, en affirmant que celui-ci se doit d’être critique pour acquérir légitimité et dénoncer toute forme de violence symbolique. Lelubre (2013) a même signalé que déjà, le choix d’un sujet de recherche est une première forme d’engagement.

Tous ceux-là appuient l’idée d’une possible influence des recherches sur ce domaine. Malgré tout, cela ne peut empêcher de croire (ou de faire confiance) à ces travaux, parce que la science est avant tout un mythe (Johannisse et Lane, 1988). Comme telle, elle reste liée à nos possibilités d’observation, et donc de perception, qui dépendent en grande partie, de nos valeurs et de nos croyances, etc.

Au final, nul n’ose affirmer « avec certitude » que les ondes électromagnétiques des antennes-relais sont nocives ou pas. Toutefois, des grands doutes planent sur ce sujet. D’autres recherches se réalisent pour enfin faire jaillir la lumière, après plus de 1 000 déjà réalisées dans le monde entier.

Micky-Love Myrtho Mocombe

À propos Micky-Love Myrtho Mocombe

Je suis étudiant en master sociologie à l’Université Paris-Saclay. Je suis blogueur, rédacteur à Balistrad.
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