Je m’appelle Jinn

Temps de lecture : 2 minutes

Dernière mise à jour : 7 juin 2019 à 14h31

Il est venu le temps de tout laisser derrière moi, le temps d’avancer, de pardonner, d’oublier et surtout de guérir. Mais avant, avant, je dois me vider de toute cette honte, cette rage, cette humiliation que je garde bien enfouie au fond de moi depuis trop longtemps déjà et qui me hante. Pour faire ce nettoyage dont mon âme a tant besoin, il faut que j’en parle.

Je m’appelle Jinn et j’ai mal. Je souffre. Je suis à bout de souffle et de force. Je m’appelle Jinn et mon unique erreur a été de prendre une photo nue et de l’envoyer à un homme en qui j’avais une confiance aveugle. Il ne m’a pas trahie. Il n’a pas non plus violé ma confiance. Il ne saurait le faire parce qu’il m’aimait beaucoup trop pour me causer un tel préjudice.

Comme on dit ici, « nude se kle tout bon relasyon » mais mon « nude » à moi a scellé ma vie. Je m’appelle Jinn et je ne sors plus. Je ne peux plus me permettre de poser un pied sur le seuil de ma porte parce que cette photo m’a rendue plus populaire que le Pape.

Je n’ose même pas imaginer qui l’a visualisée et ce qu’ils en ont fait. Je ne sors plus parce que je suis fatiguée de porter le poids des regards qui me déshabillent et des doigts qui s’enfoncent dans mes plaies quand ils me pointent. Je ne sors plus parce que je suis fatiguée d’avoir le torticolis à force de marcher tête baissée.

Je m’appelle Jinn et je n’ai plus ma place nulle part. Je ne peux même plus sortir de ma chambre sans entendre les injures de mes parents. Ils ne ratent pas l’occasion de me rappeler que je suis leur plus grande honte parce qu’évidemment ils l’ont reçue eux aussi. J’ai la sensation que même les meubles me regardent mal et me jugent. J’étouffe !

Je m’appelle Jinn et je ne vis plus! J’ai cessé de vivre le jour où j’ai découvert que ma nudité était affichée partout sur les réseaux sociaux et que je recevais des notifications les unes plus dures à supporter que les autres. Je ne vis plus depuis que j’ai appris que la jalousie et l’amertume peuvent être les armes les plus meurtrières qui existent. Je ne vis plus depuis que j’ai appris que ma photo a été publiée par une femme qui était folle amoureuse de cet homme qui a commis l’imprudence de laisser son téléphone déverrouillé à côté d’elle. Je ne vis plus depuis le moment où j’ai commencé à être vue comme une catin par tous et même par ceux qui ont commis pire que moi.

Je m’appelle Jinn et je décide de guérir, de pardonner à tous afin de guérir, de pardonner à tous ceux qui m’ont jugée et condamnée. Il n’y a que dans ma tombe que je regagnerai mon statut d’humain. Il n’y a que dans ma tombe que cette erreur me sera pardonnée, que je pourrai revivre comme si je n’avais jamais appuyé sur le bouton « envoyé ».

Qui sait ! Peut-être que même dans ma tombe je ne regagnerai pas ce rang d’humain duquel j’ai été injustement écartée. Peut-être qu’ils partageront la photo de mon corps dépouillé de toute vie par méchanceté, après tout, tout est bon pour un « buzz » ici !

Je m’appelle Jinn et je vais laisser mes pilules me guérir…
Je m’appelle Jinn et je ne vis plus.

Justine Isaac

À propos Justine ISAAC

Étudiante en sciences juridiques à l'Université Quisqueya. Je suis une Cayenne passionnée de l'écriture et de la lecture.
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