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[…] Mwen p ap di se pou ou larivyè
met simbi deyò
Lè l kreve bounda tout basen dlo
Men m konnen
Lè sous yo sispann koule
Se nan je malèrèz dlo a pete […]
Il est de ces auteurs, dont la volonté est de prendre le relais de la littérature afin de ne pas être oublié. Jean Verdin Jeudi, dit Toli, semble être de ceux-là. Ze fele est le titre qu’il a donné à son long poème de 60 pages. Un poème <Boula>, souligne le poète. Inspiré de la vie courante, Ze fele est une oeuvre éminente, riche, surtout sur l’aspect linguistique. Dans son livre, le poète nous invite à la quête de Dede, l’héroïne du poème.
Se plonger dans la poésie de Toli, c’est nous mettre face à la réalité du pays, ou du moins découvrir les vérités utiles au bien-être. Comme l’écrit Albert Camus dans L’homme révolté, « aucun artiste ne peut se passer du réel »; dans Ze fele, le sociologue cherche à créer un moment de réflexion sur notre vie quotidienne avec un style aiguisé.
Locke a écrit dans son Essai sur l’entendement humain de 1690, que l’esprit de l’enfant est une « page blanche »; c’est-à-dire qu’il ne contient aucune idée innée. Cela dit, l’éducation mérite le choix d’un programme d’étude appropriée. Jean Verdin Jeudi ne s’oppose pas à cette idée, il a mis aussi l’accent sur la défaillance du système éducatif haitien qui est à réinventer.
[…] Si n ap fè lekòl pou zonbi
Kijan n ta vle baka loreya ?
Kwè m si w vle
Nan tout prizon bò isit Ledikasyon pi aladriv […]
Sartre disait qu’un texte n’est presque jamais neutre, l’écrivain est toujours en quelque sorte engagé. De toute écriture, il y a un ressentiment, une protestation. Si bien, qu’au fil des pages, Toli défend ses valeurs et écrit sa frustration :
[…] Pa mande m
Pouki lestomak fanm gen de kalbas
Pou ranmase dlo je l
Men si w mande m
Pouki channmas gen bòkè
Pouki 12 janvye gen move sant
M ap di w Leta se karanklou […]
Tout au long de son livre, l’originaire de Pestel dénonce le comportement de la classe politique et la passivité de la population. Le poète nous invite à quitter le confort du silence, de notre langue de bois. C’est dans cette même lignée que Victor Hugo, dans sa lettre à Hexel, avait proposé de réveiller le peuple du mensonge et de la lâcheté. Jean Verdin Jeudi ne s’écarte pas de cette démarche. Il écrit son indignation face à la corruption qui ravage le pays.
[..]Nou refize konprann
Leta sa a pa Leta nou
…
Domaj
Kòlè bò isit se fent
Se yon lèt bèf ki boude dyòl li
sou dife pay […]Plus loin, il écrit :
[…] Dede
Nan gade peyi a ki prale
Nou gen pou n ap chèche tèt nou pa wè l […]
L’esthétique dépend bien des fois d’un travail sur la langue. De ce fait, l’écrivain a un rôle dominant sur le langage: créer pour donner vie à certains mots hors du quotidien. Pour paraphraser Maurice Leroy, « Le génie de l’écrivain se reconnaît à ce que, de l’utilisation de cette langue commune, il parvient à tirer un effet esthétique. » Ce travail est récurrent dans Ze fele, le premier né de Jean Verdin Jeudi.
Chaque page du poème bénéficie d’une sonorité pimpante. Que de sentiments exposés, que de ressentis dévoilés, des idées étranges et inattendues ! Ze fele est aussi une bribe d’une conversation inachevée, un adieu qui ne finit pas. Dede est omniprésente.
Ale Dede
Ale san kase tèt tounen
Se pou tout flè wòz ba w ochan Bliye si tout santiman m al bwa chat
Bliye si m tou bliye renmen
Bliye si pwent souf kè m anba zong ou
Paru en septembre 2018, chez Les éditions Floraison, Ze fele est un laboratoire. À travers cette oeuvre, le coordonnateur général du groupe « Des fleurs et poèmes » se veut un guide, un porte-parole. Il met sa poésie au service de l’indignation.
Jessica Nazaire
nazaire.jessica@yahoo.com
