La problématique de la psychose en Haïti

Temps de lecture : 3 minutes

Dernière mise à jour : 17 juin 2018 à 7h43

Une crise sociale quotidienne: De l’insouciance à la froideur du schizoïde

“ Ne me tuez pas, je suis juste malade! “

C’est l’histoire d’un jeune garçon qui est tué froidement, une femme aussi, un enfant, un vieux, qui nous est parvenue. Allongé et déformé à coup de pierre, de machette ou d’arme dans son liquide visqueux. Il y a quelques minutes, il criait comme un nouveau-né assoiffé, innocent. Par devant lui cette foule en sueur, fâchée essuyant ses mains tachées de sang après un si grand travail.

“ – Kilès yo touye la ?

– Ah, Anyen, yon vye moun fou wi “

Ils viennent de nulle-part et atterrissent sous les ponts, devant les églises, sur les places, marchés, etc et ils zonent tout simplement. Lapider à mort les psychotiques, “les fous” couramment appelés, est une forme de justice très appréciée en Haïti. Comme la sentence réservée aux voleurs dans beaucoup de quartiers, les malades mentaux croisent la mort au quotidien. Les causes pour lesquelles ils sont tués suivant une petite enquête sont diverses : Ils tabassent des passants inconnus, tuent des gens, jettent des pierres, menacent ou simplement font peur la nuit. Des hommes et des femmes qui ont parfois fui inconsciemment leur domicile à cause du trouble dont on parle vont vivre toute une panoplie d’animalités sous les regards de l’Etat, la société civile, etc. Ils sont donc : Lapidés, Brûlés vifs, battus, violées (pour les femmes), etc. Existe-t-il une explication justificative ou un sens dans ce non-sens, ce comportement partagé et justifié par plus d’un? Dans la suite trouvons une explication scientifique aux problèmes de ces malades et la source de de ce comportement inhumain “ Tuer le malade mental “.

La psychose, qu’est-ce que c’est ?

La psychose est un trouble psychologique grave marqué par la perte de contact avec la réalité et un dysfonctionnement cognitif, se caractérisant par l’émergence d’idées délirantes, d’hallucinations, ainsi que par une confusion ou des désordres dans le psychisme. Il s’agit de la schizophrénie, la psychose maniaco-dépressive, la paranoïa, etc. C’est quelqu’un qui va plutôt se replier sur lui-même en coupant le lien avec le réel, qui hallucine, etc ; s’il est schizophrène. Il peut connaître une grande excitation et dans un autre pôle une grande dépression, donc des comportements excessifs, jusqu’à des marques d’agressivité, des idées délirantes ou une totale indifférence s’il est maniaco-dépressif. Ou il peut manifester une méfiance pathologique, avec délire, le sentiment de persécution (financière ou meurtrière), l’obsession amoureuse, la mésinterprétation s’il est paranoïaque. Il faut tout de suite préciser que la personne psychotique n’a pas choisi de l’être, elle vit dans tout un monde différent mais bien réel pour elle.

C’est quoi le problème en Haïti avec les psychotiques?

La psychose est vue de deux manières principales en Haïti. Premièrement, elle fait référence à la pensée magico-religieuse. Deuxièmement, à la non-existence de la personne psychotique pour l’entourage.

En Haïti, pour beaucoup de personnes, la psychose est associée aux mauvais esprits. Dans la compréhension de plus d’un, pour chasser ces démons, les gens doivent aller soit à l’église ou dans un ‘’lakou’’ pour voir un maître spirituel. La personne est donc considérée soit comme victime innocente, soit comme coupable recevant un juste sort en rapport avec un comportement mauvais émis. La connaissance sur les pratiques psychologiques n’est pas vulgarisée, il est donc très rare en Haïti que les gens voient un psychologue pour un quelconque problème psychologique.

Les psychotiques en Haïti peuvent voyager pendant longtemps pour s’installer dans une zone lointaine. Ils passent donc de zone en zone à la recherche de la survie. En se déplaçant, ils s’exposent à deux choses en général : 1) Ils sont totalement ignorés, par rapport à l’indifférence totale. 2) Ils sont tués par la foule ou par la maladie due à la mauvaise alimentation ou la terrible condition hygiénique. Le souci dans cette réflexion, c’est qu’en Haïti, la vie d’un handicapé mental au final n’a aucune valeur, ni pour l’Etat, ni pour les autres systèmes de socialisation, la société civile, etc. Il n’y a aucune protection active en faveur de ces malades, sauf leurs familles qui apportent parfois un soutien certes mais au fond toujours insuffisant.

Le droit de la personne, spécifiquement le droit à la vie est universel et s’applique dans le cas d’un handicap physique ou psychologique nous pensons. Tuer la personne psychotique n’est en aucun cas une solution rationnelle à un problème. De mesures pénales doivent s’appliquer en rapport avec ces crimes odieux, inhumains. On pénètre la barbarie, la mauvaise foi et l’inhumanité à force de ne pas penser intelligemment. En dépit de tout, l’Etat est deux fois coupable que les tueurs quand il laisse les psychotiques traîner dans les rues en courant tous les dangers précités, sans regard spécifique. Car on le sait bien, le psychotique est un danger pour lui-même et pour les autres. Il faut donc sensibiliser par rapport à la question et créer, dans tous les départements, des centres psychiatriques spécialisés avec un personnel pouvant prendre en charge le psychotique. « Imaginez l’indifférence elle-même érigée en puissance » a dit Friedrich Nietzsche dans Par-delà le bien et le mal. Cette phrase de Nietzsche trouve tout son sens dans ce qui arrive en Haïti avec les psychotiques déambulant dans les rues comme dans Walking Dead. Qui sont les vrais fous alors quand le bien est intentionnellement piétiné ?

 

Apollon Pascal

À propos Pascal Apollon

Je suis Pascal Apollon, écrivain, poète, slameur, critique littéraire, responsable de la communication et des relations publiques à la société du samedi soir, présentateur d’émission et psychoéducateur stagiaire à Foyer Lakay (Faculté de psychoéducation du Campus Henry Christophe de l'Université d’État d’Haïti à Limonade). J'ai trois livres publiés en Haïti et en France, entre 2016 et 2018: J’aurai peut-être dix-huit ans ; Tche wòb Valantin et Grog, ''l'isolement'' . Je vis au Nord, plus précisément entre le Cap-Haïtien et Limonade.
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