Le « Ti » haïtien renvoie-t-il vraiment à une petitesse d’esprit?

Temps de lecture : 5 minutes

Dernière mise à jour : 5 octobre 2019 à 10h54

Haïti connaît pas mal de difficultés. Il est le pays le plus pauvre de l’Amérique. Certains tentent d’expliquer cette pauvreté en insistant sur la petitesse d’esprit de la majorité des Haïtiens. Une petitesse d’esprit palpable dans son langage. Le « ti » que l’on pourrait traduire par « petit » est ainsi pointé comme quoi il expliquerait nos routes pas assez larges, nos bidonvilles et le manque de perspectives de nos dirigeants. D’entrée de jeu, il faudra souligner qu’il s’agit d’un argument facile sonnant beaucoup plus comme un slogan qu’une explication logique.

Les différentes significations de « ti »

Le « ti » se traduit par « petit » en français, selon le contexte, il peut revêtir diverses significations. Il est polysémique. Il peut, soit donner une information, indiquer la quantité jusqu’à même mettre en exergue le côté affectif. Aussi, comme dans toute langue, il existera un côté péjoratif.

Ti Jan par exemple. Si pour beaucoup, le plus souvent extérieur au contexte, Ti Jan sera péjoratif, l’adjectif « ti » peut prendre divers sens. Il peut avant tout donner une information par rapport à la taille ou la grosseur : Jan est de petite taille ou est mince. Il peut aussi indiquer qu’il existe ou a existé un Jan sénior. Ti Jan peut être le fils de Jan. C’est comme dire Jan Junior ou Jan II. Le Jan II indique qu’il existait un Jan I. Le « Ti » peut être enfin affectif. Parler de Ti Jan peut indiquer une certaine intimité. Le côté péjoratif ne viendra qu’en dernière position le plus souvent. On parlera de Ti Jan pour dire qu’il n’a pas réussi ou qu’il n’inspire pas le respect. Encore là, il s’agit d’une demi vérité puisque dans la majorité des cas, la majorité des Haïtiens ne désigne pas le manque réussite ou le manque de respect par « ti ». Ils sont beaucoup plus directs. Alors, sur toutes les possibilités, il n’en existe qu’une demi à refléter la petitesse d’esprit dont il est question.

Le « Ti » devant les choses. Un Haïtien dira : « Ban m ti dlo tanpri. » Une expression qu’on peut traduire par «  Donne-moi un peu d’eau s’il te plaît. » , « Ban m ti kal » qu’on traduira par «  Donne moi un peu » Le « Ti » vient ici exprimer la quantité. En tout cas, il ne saurait en aucun cas dire : « Ban m yon gwo dlo tanpri » pour marquer son ouverture d’esprit. En créole haïtien, jusqu’ici, ça ne se dit pas. De même, « ti » devant une maison ou une route renverra, dans la majorité des cas, à une information. « Yon ti kay » voudra dire que la maison est petite tout comme « yon ti wout » pour indiquer que la route n’est pas assez large, « Yon ti bis » pour indiquer que la grosseur du bus.

Dans d’autres cas, elle exprimera tout simplement une sensation de satisfaction. « Le « Ti » haïtien renvoie-t-il vraiment à une petitesse d’esprit? « Aaa… monchè, m gen ti machin, m poze ! » Encore, un haïtien répondra: « Yon ti pen m ap manje la » Le plus souvent, il indiquera la quantité. Encore une fois, il ne sera pas question d’une quelconque petitesse d’esprit.

On retrouvera cependant des redondances comme dans toutes les langues. On dira « Ti koridò a », «  ti pitit la », etc. Encore une fois, aucune de ces expressions n’indiquera une petitesse d’esprit.

Explications de la diabolisation du « ti »

Le «ti » est une tentative d’explication de la pauvreté haïtienne. On parle de la pensée haïtienne qui attire naturellement la pauvreté. Avec beaucoup de recul, on verra qu’on a ainsi légitimé le sort du peuple. On avait commencé avec Cham , maudit par son père pour avoir ri de l’ivresse de ce dernier, pour les africains pour justifier leur situation d’esclave. Il s’agissait donc d’une malédiction divine. Ensuite, on parlera du manque de capacité de réflexion des noirs, de leur désamour pour la lecture pour expliquer leur misère. Depuis un certain temps, la fixation est portée sur la cosmogonie kamit ( noire) comme le vodou comme frein au développement. C’est dans ce contexte que le « ti » devient une énième argutie venant assoir une pensée de légitimation.

Tout comme les premières pensées de légitimation, le « ti » diabolisé émane de l’église. Si l’église catholique qui était aux devants pour l’esclavage parait, aujourd’hui beaucoup plus subtile, le protestantisme par le biais de l’évangile de prospérité a repris, dans ce contexte, le flambeau avec fracas. Les pasteurs parlent ex cathedra, ex nihilo du « ti » sans prendre le temps de les placer dans leur contexte. Ils prétendent chasser l’esprit de misère dans la tête des Haïtiens. D’autant qu’il s’agit d’un message qui attire les foules et encourage les fidèles à mettre les mains en poches en vue de réaliser des actions rares. Dans un pays où l’État est absent, le divin vendu par les religieux prend de l’ampleur. Ce message des religieux est comme une fidélisation de la clientèle prête à payer pour un morceau d’espoir.

Aussi, ce message tombe sur terrain propice. Cette pensée est reprise par la bourgeoisie à différents niveaux. Elle visera à empêcher notamment à ce que la majorité se constitue en classe pour soi. Les réseaux sociaux aidant, cette classe arrivera à vendre l’idée qu’elle a réussi parce qu’elle avait banni le « ti » de son vocabulaire, parce qu’elle avait vu les choses en grand. Additionnée à la prédisposition blancophile des Haïtiens due aux tares de l’esclavage et au monopole de l’éducation laissée à des racistes et anciens maîtres, cette pensée s’instaure peu à peu dogme. Cependant le « ti », «  petit » est très présent en français. Pourtant, on ne parle pas de petitesse d’esprit.

Le « Ti », «  petit » en français

Le créole est avant tout la rencontre de plusieurs langues, cultures, etc. Il y aura constamment la dialectique du dominant-dominé forçant à l’abus de la périphrase en traduction. Cependant, le temps aidant, des règles viendront la préciser. En dépit de ces règles, certaines pensées viendront malgré tout tenir des arguments qui, avec le recul, paraîtront insoutenables si on procède par comparaison.

En créole tout comme en français, l’adjectif « petit » peut donner une information , indiquer l’affectation et peut être pris au sens péjoratif. On dira par exemple : «  Le petit est là » C’est une information sur la personne présente qui est sûrement un enfant. Tout le monde sait qu’ami est différent de petit ami. L’adjectif petit vient raffermir l’intimité.

On dira petite maison pour indiquer que la maison n’est grande. De même qu’on dira petite rue, petit village. Encore une autre indication par rapport à l’adjectif petit « petit voleur, petit escroc », ici, il peut signifier que le voleur ou l’escroc n’a pas assez d’expérience ou dans le sens péjoratif, il peut exprimer le mépris. On remarquera qu’il sera utilisé au sens péjoratif en français tout comme en créole : « ti vòlè ». Sauf qu’en Haïti, on préférera dire tout simplement: « Vòlè » pour exprimer le côté péjoratif .

En français, le mot petit peut être péjoratif au premier degré contrairement en créole haïtien : « Tu es petit ! » Ce sera comme dire bas, vil, ect.

En comparaison au créole haïtien, le ti ne révèle qu’une demi vérité par rapport au péjoratif tandis que le français est clair.

Il faudra alors toujours garder en tête qu’une langue est avant tout une question de contexte et qu’aucune définition n’est statique. Cependant, il nous faudra combattre toute pensée visant à diaboliser le créole, le vodou ou tout autre trait propre. Ce n’est que par le combat de la diabolisation que peut s’enclencher tout processus de développement. Celui qui commence par s’accepter aura assez de courage pour s’affranchir.

Alain Délisca

À propos Alain Délisca

Je suis Alain Délisca, un Haïtien. Le reste n'est qu'explorations et heurs.
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