L’EDH dépouillée

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La présidence bananière avait promis, nous le savons tous, l’établissement en un temps record de 24 mois d’un approvisionnement ininterrompu en électricité. Les choses se sont, au contraire, empiré ! L’électricité est devenue aussi rare qu’un puceau cinquantenaire. Des explications fusent de partout : rareté de carburant chez les fournisseurs, additionnée aux retards de paiement de l’EDH sans évidemment oublier la centrale de Péligre à sec. Loin de justifier les manquements d’un Président bébé, il convient tout de même de s’arrêter sur la perception de l’EDH constituant sa principale source de revenus. Il faudra souligner qu’aux cotés de la perception, l’Électricité d’Haïti possède un fonds de pension, ainsi que des propriétés qu’elle loue à ses employés, éléments constituant des sources de revenus pour le moins considérables.

Si la compagnie fait face à un faible niveau de facturation et de recouvrement respectivement 40% et 67% en moyenne (1), le recouvrement se voit spolié par certains des employés de la compagnie. Selon eux, il s’agirait d’une vaste machine de corruption dont l’une des principales ailes s’appuie sur la perception, la caisse. La rénovation du réseau électrique promise par la République du Taiwan(2) ne suffira pas à tirer l’EDH de la faillite, considérant que le prêt octroyé par le FMI à Haïti entrainera comme première conséquence la cessation de la subvention de l’EDH(3). C’est dans ce contexte, sous le couvert de l’anonymat, que l’équipe de Balistrad a pu rencontrer une employée qui dénonce ce qu’elle appelle un système de corruption privant l’entreprise d’une bonne partie de ses recettes.

Jeanne (4) est caissière dans l’une des succursales dans la zone métropolitaine, elle explique avoir été mise au parfum par les signes extérieurs de richesse de l’une de ses collègues :
« Elle est caissière comme moi. Elle a l’habitude d’exposer sans gêne des avoirs que nos salaires annuels en tant que caissières ne nous permettraient pas de nous offrir. J’ai d’abord pensé que son mari gagnait bien sa vie. Mais non ! En apprenant le métier de ce dernier, je me suis tout simplement dit qu’il trainait dans des affaires louches. Je m’en suis même voulu ! J’avais l’impression de l’envier pour son sort bien meilleur que le mien. Elle pouvait avoir fait un bon placement ou autre. Un jour, je découvris une pile de fiches déchirées dans la poubelle tout près de son pied. »

Balistrad : Une pile de fiches déchirées, qu’entendez-vous par là ?

Jeanne : Lorsque les clients viennent payer, on les enregistre sur le système informatique et on leur donne un reçu ou fiche. On garde aussi une copie indiquant la somme dont il s’est acquitté. La collègue en question enregistre le montant sur le système pour éviter que l’on débranche le client puisqu’avec sa fiche, ce dernier pourrait produire une réclamation qui conduirait à la source. La collègue déchire alors sa copie et garde l’argent acquitté par le client. Tout indique alors que le client a payé, ce qui est d’ailleurs vrai, mais l’argent disparait, ou plutôt, quelqu’un l’empoche… mais ce n’est pas l’EDH.

B : Mais la somme du paiement est aussi enregistrée sur le système. Une différence entre la somme collectée et celle portée sur le système informatique ne devrait-elle pas éveiller les soupçons ?

J : Oui mais le système informatique est souvent défaillant. Aussi, certaines caissières non-permanentes pour un centre ne se trouvent pas enregistrées pour le centre en question. C’est-à-dire, si deux mois de cela, une caissière travaillait à Pétion-ville même en étant mutée à Delmas, elle sera toujours enregistrée à Pétion-ville. L’enregistrement devrait, en principe, être automatique mais malheureusement cela peut prendre des mois. Cette défaillance facilite les mauvaises transactions. Surtout, il y a ce fameux « sistèm tonbe » pouvant durer des mois. Les transactions sont alors portées à la main. En déchirant les fiches, la collègue peut facilement balancer à la main et empocher de colossales sommes quotidiennement.

B : Vous parlez de colossales sommes. Une idée du nombre ?

J : Cela peut varier selon le centre. Il y a des centres comme Pétion-ville, Delmas, Rue Capois qui peuvent collecter chacun des millions de gourdes par jour. Alors, il peut arriver qu’une caissière enregistre jusqu’à des centaines de milliers de gourdes. La quantité d’argent qu’une caissière dans cette situation empochera dépendra de sa gloutonnerie. Moi, le cas qui m’a les plus ébranlée était le fait que la collègue en question manquait plus de cent mille gourdes pour pouvoir balancer. Imaginez un instant une entreprise dépouillée de cent mille gourdes quotidiennement !

B : Si on a su qu’elle lui manquait plus cent mille gourdes, il y avait alors d’autres personnes à être au courant ?

J : Oui. Mon chef de section. Ces genres de cas ne peuvent pas être dangereux. La collègue devrait, en principe, être renvoyée. Quand le chef de section en a parlé au chef de service, ce dernier lui a demandé de taire l’affaire. J’éviterai les détails par précaution.

B : Ce qui signifie qu’elle n’est pas la seule à opérer ?

J : Ce qui signifie que l’argent est partagé. Aussi, elle n’est pas la seule à le faire.

B : Pensez-vous dans ce cas que la caisse soit une mauvaise chose pour l’EDH ?

J : Oh non ! Le problème est la corruption. Il n’y a pas que la caisse. Je crois que la compagnie, malgré son faible taux de recouvrement, peut faire mieux et ce, sans la subvention de l’Etat. Il faut pour cela enrayer la corruption. Comment ? Nous le savons déjà tous : en commençant par la tête. Il est facile de répéter qu’Haïti est corrompu mais le vivre quotidiennement sans pouvoir le dénoncer parce qu’on a peur pour sa vie, celle de ses enfants ou parce qu’on a tout simplement peur de ne plus pouvoir manger, croyez-moi, c’est l’enfer !

Il n’y pas que l’EDH ! Nous entendons souvent parler de l’APN et de toutes les institutions de l’Etat. La corruption s’est instaurée en mode vie au point où les dénonciateurs parlent sous le couvert de l’anonymat ! Finalement, le regarder-sans-voir est la plus grande forme de corruption. Alors parlez, témoignez tout en vous protégeant ! Faites-nous parvenir vos témoignages. Quand les valeurs deviennent crimes, on ne rêve que par les paroles et les mots. Combattons ce black-out qu’est le silence complice de ces corrupteurs, ce silence qui nous tue à petit feu…
Entre temps, l’EDH quotidiennement dépouillée ne recevra plus de subvention de la part de l’Etat haïtien!

(1) BID, Kénol THYS : Energie en Haïti, une république informelle
(2) http://news.anmwe.com/haiti-taiwan-confirme-la-renovation-du-reseau-de-lelectricite-dhaiti-edh/
(3) http://www.loophaiti.com/content/haiti-signe-un-important-accord-avec-le-fmi
(4) Nom de la personne modifiée pour des raisons de sécurité

À propos La rédaction

Balistrad se veut une nouvelle proposition, une main en plus dans ce grand atelier qu’est le redressement d’une société courbée et épuisée.
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