L’être haïtien entre le victimisme et la complicité

Temps de lecture : 6 minutes

Dernière mise à jour : 18 novembre 2018 à 16h43

Quoi que cela puisse faire l’objet de vives discussions mais refuser de blesser une plaie c’est comme se refuser à la guérir. Nous partageons tous en tant qu’Haïtiens cet espace qui, selon plus d’un, semble échapper au regard du BONDIEU et croupir sous la domination des colons nationaux et internationaux. En tant qu’être humain doué de raison, on  a vécu  un passé, on  fonctionne dans un présent  et on se  doit de préparer un avenir. Ce triplet (passé, présent, futur) constitue une chaîne dont les liens entre les maillons sont trivialement imbriqués. En effet, l’avenir d’un être dépend indubitablement de son passé et son présent.  S’il est impossible de corriger le passé, il n’est cependant  jamais trop tard pour améliorer le présent afin d’avoir un lendemain qui chante.

La vie d’une personne se caractérise par un ensemble de facteurs intrinsèques et extrinsèques. Il existe  néanmoins  toute une panoplie de gens dans notre société qui ignorent la forte corrélation qui  existe entre ces derniers. Ainsi, dans la société haïtienne on arrive à une situation de laisser faire entre le peuple et l’État. Une situation, bien évidemment, profitable à nos représentants gourmands et une bourgeoisie aveugle. Étant le principal perdant, le peuple devient désespéré, désorganisé. Au lieu d’être touché par un souci de changement devant découler de ses valeurs communes, pour se mettre ensemble et forcer les nantis à prendre leurs responsabilités et chambarder ce système pourri afin de remettre le pays sur les rails, il s’enchaîne plutôt avec des luttes pour le pouvoir et non pour la reforme.

On est arrivés à un point où presque chaque Haïtien rêve d’intégrer le pouvoir politique afin de faire son beurre en coupant sa part du gâteau. N’est-il pas absurde de croire que tout le monde peut diriger et tenir par l’autre bout de la lorgnette ? Vivre dans de meilleures conditions est le rêve de toute personne lucide et toute personne lucide sait qu’il existe un ensemble d’efforts à consentir jusqu’au point de se violer même parfois pour arriver aux conditions voulues. Cependant, en Haïti tout le monde réclame de meilleures conditions de vie sans vouloir se changer pour changer le pays. Peut-on dire que nous sommes tous non lucides en tant qu’Haïtiens ? Voyons un peu l’illusionnisme haïtien.

Primo, un peuple qui choisit ses dirigeants pour des raisons pécuniaires; un peuple qui choisit ses dirigeants en fonction des liens de parenté; un peuple qui choisit ses dirigeants en fonction des rapports de proximité; un peuple qui choisit ses dirigeants de manière émotionnelle; un peuple qui choisit ses dirigeants en se foutant comme de l’an quarante de leurs histoires; un peuple qui  choisit ses dirigeants en comparant les slogans ; un peuple qui a une mémoire fugace; un peuple qui est prêt à briser les institutions tant publiques que privées sans rime et sans raison ; un peuple qui ne s’intéresse pas à l’avenir de ses descendants ; un peuple qui accepte tout sous prétexte d’avoir peur ; un peuple qui accepte des proverbes comme « pito nou lèd nou la » ; un peuple qui jette  les déchets n’importe où ; un peuple qui reconduit des dirigeants qui n’ont jamais fait bonne contenance; un peuple qui choisit des dirigeants inculpés ; un peuple qui choisit des dirigeants incompétents ; un peuple qui donne la primauté au plaisir sur l’éducation. Ce peuple est-il victime ? Si on se base sur la réflexion de Georges Orwell qui lui-même dit : « un peuple qui élit des corrompus, des renégats, des imposteurs, des voleurs et des traitres n’est pas victime, il est complice. »

Cependant, peut-on ignorer la réflexion de Karl Marx qui nous laisse croire que la conscience de l’Homme est déterminée par ses conditions de vie. Tenant compte du fait que les conditions de vie du peuple vont de mal en pis et qu’il soit toujours perdant face à des représentants méchants quelle que soit la méthode utilisée pour faire son choix, si on tient compte du fait qu’on assiste toujours à des opportunistes qui offrent tout pour gagner sa confiance mais jamais ne font bonne contenance. Ils sont hypocrites et rusés, beaucoup sont ceux qui sont choisis dans l’ignorance et les causes sont multiples. Mais la faillite des institutions comme l’école, l’église, la famille et aussi la presse, n’est-elle  pas un élément pondérant qui peut expliquer le comportement du peuple ? Ce dernier est arrivé à un point où il se méfie de tout le monde. De ce fait, étant rationnel et/ou ignorant il devient plus intéressé aux avantages immédiats tout en se basant sur la logique d’un tien vaut mieux que deux tu l’auras.

Secundo, l’État qui préfère remplir les administrations publiques de branques au lieu de cadres  qualifiés et compétents, si on tient compte de la déclaration de Josué  PIERRE-LOUIS  faisant croire que moins de 5% de cadres de la fonction publique possèdent une licence ;  l’État qui refuse de faire asseoir l’éducation sur de bonnes bases;  l’État qui se laisse dépasser par des individus ; l’État qui n’a pas une vraie politique de gestion de déchets ; l’État qui n’a pas une politique publique adaptée à la réalité de son territoire ; l’État qui n’a pas la capacité de faire respecter les lois ; l’État qui ne se penche pas sur les conditions de vie de la populace ; l’État qui est rempli de corrupteurs ; l’État qui ne rive pas ses yeux sur ses émigrants en situations difficiles ; l’État qui fonctionne sous la dictée des étrangers ; l’État qui parle beaucoup plus que d’agir ; l’État qui a peur de toucher les dossiers sensibles; l’État qui ne dirige qu’à la faveur d’une classe sociale; l’État qui ne répond pas aux revendications justes du peuple; l’État qui ne s’intéresse pas à l’Université; l’État qui ne fait que constater les constructions anarchiques; l’État qui ne contrôle pas l’action des ONG sur son territoire. Se basant sur les tâches qui incombent aux fonctions des représentants de l’Etat. Ce dernier est-il responsable ?

Cependant, peut-on ignorer le fait que les gens ont beaucoup investi afin d’intégrer l’État. Et pour y arriver ils ont dû se faire accompagner aussi de toute une panoplie de gens qui eux-mêmes veulent aussi avoir leur part du gâteau. Donc, les représentants de l’État, pour récompenser certains alliés, parfois même sans tenir compte de leurs compétences, sont bien obligés de les placer quelque part au sein des administrations publiques et faire des deals avec d’autres qui ont investi pour leur permettre d’y briguer un poste. Un aspect à ne pas négliger aussi,  le fait que l’État est composé en grande partie de personnes qui ont leurs familles et leurs biens dans d’autres pays. Et beaucoup sont ceux qui sont incompétents et surtout des corrupteurs. En effet,  il est évident qu’ils se font accompagner de gens incompétents comme eux-mêmes et des gens corrompus puisqu’ils ne pourraient exister sans ces derniers. De là étant, on peut se poser beaucoup de questions. Mais personne ne peut ignorer que les conditions infrahumaines de la population sont profitables aux colons nationaux et internationaux.

Tercio, dans tout pays où l’on pense à la collectivité, les universitaires constituent une réserve de valeur pouvant être utilisée dans la résolution des problèmes qui gangrènent la vie du peuple. Cependant, beaucoup de nos universitaires se présentent comme uniquement des outils dans les mains de la bourgeoisie compradore haitienne et de certains politiciens destructeurs pour créer du trouble. Peut-on espérer du changement avec des universitaires qui ne sont que des univers sur terre ? Des universitaires qui croient uniquement dans le pouvoir sans vouloir travailler pour une réforme; des universitaires qui sont prêts à rester des perpétuels étudiants rien que pour bénéficier des advantages minables; des universitaires qui réfléchissent pire que le commun des mortels;  des universitaires qui refusent de servir leur communauté; des universitaires qui ne sont que des répétiteurs; des universitaires qui parlent uniquement pour satisfaire des gens spécifiques tout en faisant abstraction des problèmes de la société; ces derniers sont-ils des scientistes pouvant traiter les plaies du pays ?

In fine, nous vivons dans une situation perplexe où, même en plein midi, tout le monde est avec sa torche allumée et veut à tout prix trouver le responsable puisqu’on veut toujours nier ses responsabilités tout en essayant de trouver quelqu’un d’autre à culpabiliser. On dirait une poule qui a trouvé un couteau, beaucoup sont ceux chez nous en Haïti qui refusent de prendre leur destinée en main. Or, on n’est jamais mieux servi que par soi-même. De ce fait il revient à nous de nous entendre sur le fait que nous voulons changer notre pays et de nous conscientiser sur le fait que ce ne sera pas sans coup férir. Il faut donc travailler avec beaucoup d’entrain afin d’y parvenir. J’ai hâte de voir les vrais  Haïtiens se réveiller pour dire non à la disparation de cette patrie qui est le symbole de la liberté des noirs qui pourtant reste encore sous la domination des colons de toutes sortes.

Zachary Thermo

À propos Auteur invité

Les auteurs invités sont des contributeurs occasionnels auxquels Balistrad ouvre ses colonnes pour la publication de textes de réflexion sur des sujets divers. Si vous souhaitez vous aussi partager votre expérience ou votre vision, contactez-nous sur les réseaux sociaux ou sur submit.balistrad@gmail.com. Nous nous ferons un plaisir de les publier, s'ils sont conformes à la ligne éditoriale et aux standards de qualité de Balistrad.
x

Check Also

S’unir pour vaincre la mort. Une proposition de Jacques Roumain dans « Gouverneurs de la rosée »

« Nous mourrons tous », crie Délira Délivrance. Des paroles, ...