Dossiers UCREF et PetroCaribe, une épée de Damoclès sur la tête du Président de la République ?

Temps de lecture : 6 minutes

Dernière mise à jour : 2 juin 2019 à 16h37

Avant même son ascension au pouvoir, le citoyen Jovenel Moïse avait été épinglé pour blanchiment d’argent dans un rapport émis par l’UCREF, organe public de contrôle financier. Une plainte a été déposée par le Professeur Bolivar avec constitution de partie civile au Parquet de Port-au-Prince. Selon les vœux de l’art 51 du Code d’Instruction Criminelle, le Commissaire du Gouvernement, à l’époque Me Jean Danton Léger, avait transmis la plainte avec son réquisitoire d’informer au cabinet d’instruction du juge Wilner Morin. Plus tard, le dossier a été confié au juge Bredy Fabien.

De 2017 à 2019, l’instruction a donc duré deux ans. Rappelons que dans la phase d’instruction d’un dossier, le juge ne cherche pas à déterminer une éventuelle culpabilité mais si oui ou non les charges contre un ou des individus sont suffisantes pour qu’ils soient déférés devant la juridiction de jugement, selon le principe que la juridiction d’instruction ne peut ni poursuivre ni juger. Une ordonnance de non-lieu rendue par le juge Bredy Fabien a blanchi l’inculpé des accusations portées contre lui. En effet, une telle décision affirme qu’il n’y a pas lieu de poursuivre la procédure et qu’elle s’arrête là. De ce fait, le président a été disculpé. Le chef du Parquet, Me Eronce Villard, estime que les preuves sont insuffisantes pour le poursuivre. (1) Jovenel ainsi blanchi, que faut-il comprendre ?

Certains pourraient tempêter dénonçant une main politique par la pression, l’infiltration du pouvoir exécutif dans cette décision. Mais nous n’estimons pas opportun de nous pencher dessus. Par contre, il s’avère nécessaire de préciser une chose : cette décision n’est pas définitive puisqu’elle peut faire l’objet d’un appel, comme l’a si bien martelé l’avocat de la partie civile Me André Michel, sans oublier que la poursuite peut être reprise sur la base de nouvelles charges. Nous comprendrons alors qu’une ordonnance de non-lieu ne lave pas tout à fait l’individu en faveur duquel elle est rendue. En fait, elle ne garantit pas que cet individu n’a pas commis ou participé à l’infraction lui étant reprochée.

Blanchiment des avoirs

Concernant M. Moïse, le dossier de l’UCREF portait sur le blanchiment d’argent. La loi de 2013 sanctionnant le blanchiment des capitaux et le financement du terrorisme définit le blanchiment comme « la conversion ou le transfert des biens qui sont le produit d’une activité criminelle, dans le but de dissimuler ou de déguiser I’origine illicite desdits biens ou d’aider toute personne impliquée dans cette activité à échapper aux conséquences de ses actes juridiques » (Art 5 al a) de la dite loi). (2) Cette loi fait suite à la loi de 2001 sur le blanchiment des avoirs provenant du trafic illicite de la drogue et d’autres infractions graves.

Pour tenter une définition plus simple, nous dirons que le blanchiment des avoirs consiste alors à cacher la véritable origine d’un avoir ou prétendre qu’il provient d’une activité légale tandis qu’en réalité il est le fruit d’une activité bien malhonnête. Sur ces entrefaites, il convient de faire remarquer que le blanchiment n’est pas une infraction isolée mais résultante d’une première infraction soit d’un vol, d’une séquestration, d’un trafic illicite de drogue ou encore d’un détournement de fonds.

PetroCaribe

Le mot a été sur toutes les lèvres depuis quelques temps. De quoi s’agit-il dans cette affaire ? Il s’agit de plus d’un milliard de dollars dilapidés (3) dans l’espace de quelques années sous plusieurs gouvernements par des personnes physiques et morales. Les fonds PetroCaribe provenaient d’un accord conclu avec le Vénézuéla sous l’administration de Préval qui consistait en la fourniture de pétrole à un prix référentiel. Notons également que plusieurs autres pays avaient bénéficié de ce programme et affichent aujourd’hui les résultats, plus près de nous nos voisins de l’autre côté de l’île.

Avec les soupçons et le constat flagrant de quelques travaux non ou mal réalisés, il y a eu bien des remous tant au milieu de certains élus qu’au niveau du peuple. Le mouvement PetroCaribeChallenge, l’année dernière, a donné un véritable essor à ce dossier en décuplant les manifestations à travers le pays. Deux enquêtes senatoriales déjà menées, deux rapports de la Cour Supérieure des Comptes et du Contentieux Administratif ont suivi dont le dernier (final) date de ce vendredi 31 mai.

Véritable spirale de corruption: des entreprises créées après le décaissement des fonds, des projets bafoués, des fonds décaissés sans aucune réalisation…. Autant d’irrégularités qui prouvent que cet argent a été bel et bien gaspillé.

Implications d’une entreprise

Dans ce dernier rapport, une fois de plus le nom d’une firme figure « Agritrans« , société anonyme que l’actuel Chef d’Etat présidait avant sa montée. Question de contrat de réhabilitation routière (la route de Borgne) alors qu’Agritrans était dans la production agricole. Toujours selon le rapport une autre, Betexs, avec le même matricule, le même personnel, a effectué le même travail de réhabilitation pendant la même période.

Agritrans et Betexs ! Est-ce deux sociétés jumelles ? Les magistrats, quant à eux, sont d’avis qu’il ne s’agit « ni plus ni moins qu’un stratagème de détournement de fonds ». De plus, la Cour révèle que « l’état de ce tronçon de route suscite des questionnements et démontre qu’il y a un décalage énorme entre les sommes dépensées et la réalité des travaux qui auraient été effectués ». Près de 66% de l’avance de démarrage, c’est le pourcentage décaissé et utilisé 2 mois avant même la signature du contrat pour Agritrans SA. Irrégularités causant préjudice au projet et à la communauté selon les magistrats qui concluent qu’il y a eu « collusion, favoritisme et détournement de fonds ».

Encore en 2015, la Cour avait exprimé sa réserve à l’égard d’un contrat de réhabilitation routière pour violation de la loi de passation de marché, lequel contrat Agritrans avait quand même obtenu. Déjà en 2014, cette firme avait reçu un montant de 5 milliards de gourdes pour achat de carburant sans aucune offre technique n’ait été proposée ni aucun contrat signé, selon le rapport. (4) En sus de toutes ces observations, le nom de la société Agritrans y figurerait 69 fois.

Revenons à l’UCREF

Le rapport d’enquête de l’UCREF, s’étendant sur la période de 2007 à 2013 et analysant les activités de l’homme d’affaires, avait accusé M. Jovenel Moïse d’avoir blanchi un montant de 5 millions de dollars. Quatorze comptes en banque dont le citoyen est signataire, mentionne le rapport. (5) M. Jean François, à l’époque directeur de l’UCREF, annonçait que, depuis 2013, l’institution avait été saisie par une banque demandant une enquête sur M. Moise à cause de la nature des transactions opérées sur ses comptes causant des suspicions de blanchiment d’argent. C’est un dossier qui, outre ses comptes bancaires, a également touché ses véhicules et ses rapports avec la DGI. En guise de conclusion, on peut lire: « Il est possible que Monsieur Jovenel Moise manipule des fonds qui n’ont rien à voir avec ses entreprises. »

Somme toute, le dossier PetroCaribe prouverait-il le bien-fondé du rapport de l’UCREF ? Peut-on à présent douter de la bonne foi du juge Fabien qui a rendu cette ordonnance ? Aurions-nous un corrompu coriace au pouvoir ? Tant de questions qui ne font qu’alimenter le débat et amenuiser la confiance des citoyens en cet homme déjà décrié. Toutefois, la culpabilité d’un individu ne peut être prononcée que par une juridiction compétente. En tout cas, le dossier PetroCaribe aura montré que l’actuel premier citoyen du pays n’était pas, ne peut être au-dessus de tout soupçon et qu’on ne peut étiqueter de dossier politique toute accusation portée contre lui comme l’avaient fait certains à l’époque…

Une fois de plus, la corruption prouve qu’on ne peut pas la contenir. Elle se répandra quand même telle une odeur pestilentielle. Rapport final soumis. Chef d’Etat épinglé. La presse internationale s’empare du sujet, les plumes des journalistes vomissent des articles partout. Le dossier est chaud sur la toile. Les titres qui parlent de lui foisonnent. On se demande comment un homme qui se retrouve au cœur d’un tel scandale peut encore diriger un peuple.

Witensky Lauvince

Sources:
1- https://lenouvelliste.com/article/200752/blanchiment-des-avoirs-jovenel-moise-blanchi-par-le-juge-dinstruction-bredy-fabien
2- Loi sanctionnant le blanchiment de capitaux et le financement du terrorisme, p9.
3- Rapport final de la CSCCA, p33
4- Rapport final de la CSCCA, p48 et p154 à 169.
5- https://www.slideshare.net/mobile/tripotay/rapport-complet-de-lucref-sur-jovenel-moise

À propos Witensky Lauvince

Si les étoiles veulent s'éteindre là-haut, dites-leur que l'espoir est lumière ici.
x

Check Also

Police nationale, violence et droit syndical

Les policiers réclament, depuis quelques temps, de meilleures conditions de ...

Share via
Copy link