Quand l’État prend lui-même les armes contre le peuple

Temps de lecture : 2 minutes

Dernière mise à jour : 25 septembre 2019 à 19h30

Durant les derniers mois, on s’était indigné contre l’utilisation des gangs par des hommes de l’Etat. Cette fois-ci, l’État – pardon, les hommes d’État – n’utilise·nt pas les gangs armés, les milices ou les tueurs à gage pour tuer [ou tirer sur] le peuple. Les sénateurs de la république, sans gêne, utilisent leurs armes à feu contre le peuple, après l’avoir mis en colère.

Michel Rolph-Trouillot a eu raison en définissant l’État haïtien comme un État contre la nation. Plus que jamais, il est clair qu’il existe un État démophagique en Haïti. Depuis l’assassinat de l’Empereur Jacques 1er, cette institution, désormais obsolète, s’érige en prédateur, pour reprendre Mats Lundahl, avec pour proie, les masses. Pour mettre en marche sa politique d’inimitié, l’État se transforme en une machine thanatologique, c’est-à-dire un dispositif qui produit des doses provoquant la mort de ses propres citoyens.

Dans mon récent article Politiques démophagiques, j’ai saisi cette production à travers deux échelles : des doses douces ou molles, qui représentent les politiques anti-peuples visant à faire de lui une humanité subalterne ; des doses amères ou dures se référant aux violences physiques mises en place par l’État pour éliminer ceux qui remettent en question le statu quo et qui veulent ébranler le système.

Tout le long du 19e et du 20e siècle, les pratiques liées aux doses dures – comme les tortures perpétrées par les forces armées, les massacres, l’incendie des marchés, les assassinats – étaient exécutés par les milices, les groupes armés ou autres formes de machines de guerre. L’État s’occupait surtout de la mise en place des ficelles pour aboutir à l’élimination progressive des masses, jouant le rôle de marionnettiste sur l’autre échelle.

Aujourd’hui, une autre tendance se dessine. L’État, constitué pour la plupart de bandi legal, se transforme lui-même en machine de guerre et tire sur tout ce qui dérange. Toutes les griffes du prédateur sont en expansion contre le peuple, puisque ce dernier se réveille progressivement en partant par la remise en question du système.

L’incapacité du système à mettre en place une institution militaire ou paramilitaire pour assurer la répression ; l’hégémonie du provisoire ; les irrégularités constatées au niveau des institutions de l’espace de médiatisation témoignent de son dépassement. Le peuple doit, par conséquent, conquérir le pouvoir politique pour représenter à son tour son intérêt propre comme étant l’intérêt général. Ainsi, il pourra fonder une communauté de dessein, formée des valeurs de l’haïtianitude : la liberté, la justice sociale, l’entraide, le patriotisme, entre autres.

Micky-Love Myrtho Mocombe

À propos Micky-Love Myrtho Mocombe

Je suis étudiant en master sociologie à l’Université Paris-Saclay. Je suis blogueur, rédacteur à Balistrad.
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